Le travail par quarts peut être dangereux pour les travailleurs. Comme de nombreux services essentiels doivent être assurés 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, certains membres du SCFP doivent effectuer du travail par quarts. Leur travail en première ligne est crucial pour la santé et la sécurité du public. Il est toutefois possible d’atténuer les impacts négatifs du travail par quarts sur leur santé, et ce, sans compromettre la qualité des services.

Le travail par quarts englobe tous  les horaires de travail quotidiens autres que les horaires de jour réguliers (de 7 h ou 8 h jusqu’à 17 h ou 18 h). Le travailleur peut toujours effectuer le même quart de travail, travailler les quarts en rotation ou travailler plus d’heures par jour que la norme, sur semaine ou le week-end. En Amérique du Nord, un travailleur sur quatre effectue du travail par quarts. Au Canada, 11 pour cent des travailleurs effectuent des quarts de travail en rotation, six pour cent sont affectés en permanence à des quarts de soir et 2 pour cent à des quarts de nuit[i]. Même si, à première vue, il n’est pas considéré comme  dangereux pour les travailleurs, le travail par quarts peut avoir des effets négatifs majeurs sur leur santé et leur sécurité.

Les membres du SCFP suivants travaillent par quarts :

  • les travailleurs des soins de santé et des soins de longue durée, notamment dans les hôpitaux et les foyers de soins infirmiers.
  • les travailleurs des services de sécurité comme les policiers, les pompiers, les ambulanciers paramédicaux et les agents de sécurité.
  • les travailleurs du secteur de l’énergie comme les employés œuvrant dans les centrales électriques et les monteurs de ligne.
  • les travailleurs des transports comme les agents de bord et les chauffeurs d’autobus.
  • les travailleurs municipaux, comme les conducteurs de chasse-neige et les éboueurs.
  • les travailleurs des services sociaux, entre autres dans les refuges et les cliniques.

Les effets du travail par quarts

Les effets du travail par quarts ont récemment été étudiés par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). L’étude du CIRC révèle que les perturbations des rythmes circadiens entraînées par des horaires de travail atypiques ont « probablement des effets cancérigènes » pour les humains (groupe 2 A). Le lien entre le travail par quarts et le cancer n’est pas encore entièrement démontré, mais il semble que ce soit la perturbation des mécanismes de libération des hormones du corps humain, plus spécifiquement la mélatonine, qui soit en cause. Les rythmes circadiens sont les modifications d’ordre physique, mental et comportemental qui suivent un cycle d’environ 24 heures. Ils sont activés principalement par l’alternance du jour et de la nuit. La mélatonine est sécrétée lorsqu’il fait noir, ce qui correspond en général au moment où les gens dorment. Voici ce que constate l’étude du CIRC : « La production et la libération de la plupart des hormones présentent un rythme circadien ordonnancé selon un cycle approximatif de 24 heures. Par conséquent, les facteurs qui perturbent les rythmes circadiens peuvent aussi modifier la concentration des hormones[ii]. » L’étude conclut que les travailleurs effectuant des quarts qui subissent des perturbations de leurs rythmes circadiens à cause d’une exposition à la lumière pendant la nuit et des modifications dans la structure de leur sommeil, ont probablement un risque plus élevé de cancer du sein et un risque potentiellement accru de cancer colorectal.

Le travail par quarts peut avoir d’autres effets négatifs :

  • troubles du tube digestif (brûlures gastriques, indigestions, maux d’estomac, colite, gastroduodénite et ulcères gastroduodénaux).
  • troubles du système cardiovasculaire (hypertension, cardiopathie ischémique).
  • troubles métaboliques.
  • accidents de travail plus fréquents à cause de la fatigue et d’un moins bon soutien des collègues et des superviseurs pendant les quarts de soir ou de nuit.
  • perturbation du sommeil et privation de sommeil pouvant mener à la fatigue chronique. Le sommeil de jour est rarement aussi profond ou réparateur que le sommeil de nuit.
  • faible poids des bébés à la naissance, à cause des perturbations de croissance du fœtus.
  • anxiété et dépression causées par l’isolement social et les bouleversements dans la qualité et la quantité du sommeil.
  • perturbation de la vie personnelle et familiale, le temps à consacrer au conjoint, aux enfants, aux amis, aux loisirs étant réduit ou sujet à variation.

Les autres facteurs de risque pour ces travailleurs sont les suivants:

  • faible dotation en personnel ou travail effectué seul, en particulier pendant les quarts de nuit.
  • quarts de travail trop longs et temps supplémentaire inutile.
  • quarts de travail du matin qui débutent trop tôt (avant 6 h).
  • diminution de la vigilance des travailleurs très tôt le matin (entre 3 h et 5 h).
  • horaires discontinus qui nuisent à la récupération.
  • horaires inadéquats et mal gérés.
  • formation inadéquate offerte par les employeurs sur les risques supplémentaires associés au travail par quarts.

Stratégies pour contrer les effets négatifs du travail par quarts

Les personnes qui travaillent par quarts vivent de multiples problèmes dus au bouleversement de leurs habitudes de repas, de sommeil et de travail. Pour y remédier, les travailleurs peuvent notamment :

  • prendre conscience des risques du travail par quarts pour leur santé et leur sécurité et participer activement à l’aménagement et à la gestion des quarts de travail. Il est possible de concevoir des horaires de travail qui tiennent compte à la fois des travailleurs et de ceux qu’ils servent tout en réduisant les effets nocifs du travail par quarts sur la santé[iii].

  • travailler selon une rotation de courte durée, comprenant deux ou trois quarts de jour, puis deux ou trois quarts de nuit, suivis d’une période de repos. Cette forme de rotation diminue la perturbation des rythmes circadiens, tout en permettant aux travailleurs de maintenir, du moins en partie, des interactions sociales régulièresiii.

  • négocier des périodes de repos adéquates pour les travailleurs effectuant des quarts. Éliminer le plus possible les horaires discontinus et le travail de nuit et porter une attention particulière lorsque le travail est effectué seul.

  • dans le cas des quarts de travail effectués en rotation, adopter une forme de rotation qui progresse vers la fin du jour plutôt que l’inverse. Une rotation allant du jour au soir puis à la nuit permet une meilleure adaptation des rythmes circadiens. Éviter les quarts de travail qui commencent avant 6 h puisqu’ils sont associés à une diminution du sommeil et à une augmentation de la fatigue.

  • prévoir des siestes de 20 à 30 minutes pendant les pauses, surtout durant les quarts de nuit, pour aider à atténuer la fatigue, à compenser la perte du sommeil et à réduire la pression artérielle et la fréquence cardiaque.

  • faire une activité physique régulière pour favoriser le sommeil et en améliorer la qualité. L’exercice diminue également la sensation de fatigue, tout en augmentant la vigilance, la vigueur et l’énergie.

  • prendre des collations et des repas nutritifs et consommer des aliments peu transformés et pauvres en gras, en glucides et en sucre, ce qui aide à prévenir les baisses d’énergie et à minimiser les bouleversements du sommeil. Les cafétérias sur les lieux de travail doivent offrir des repas qui répondent aux besoins des travailleurs par quarts.

  • limiter le recours aux stimulants comme la caféine, la nicotine et l’alcool, surtout au coucher.

  • demander à l’employeur de prévoir une aire de repos spéciale, aussi sombre et tranquille que possible. Pour les périodes de repos sur les lieux de travail, vous pourriez avoir besoin d’un masque pour les yeux ou de couvre-fenêtres plus opaques.

Mesures à prendre

Parce que de nombreux services publics essentiels sont offerts 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, les horaires par quarts sont parfois inévitables. Vous pouvez toutefois prendre certaines mesures pour en atténuer les effets. Les risques du travail par quarts dépendent en grande partie du contrôle exercé sur les conditions de travail. Les mesures suivantes peuvent contribuer à atténuer les risques du travail par quarts :

  • refuser les conditions de travail dangereuses et les heures supplémentaires inutiles.

  • inscrire les risques du travail par quarts à l’ordre du jour des réunions du comité de santé-sécurité.

  • exiger que les employeurs améliorent l’organisation du travail, les conditions de travail, les horaires et les équipements qui peuvent présenter des risques pour les travailleurs effectuant des quarts.

  • prévoir des périodes de repos suffisantes et des pauses-repas au travail.

  • travailler en fonction d’un horaire optimal, soit généralement en fonction d’une rotation des quarts de travail allant du jour au soir puis à la nuit, et de quart ne dépassant pas huit heures.

  • éliminer les horaires discontinus, c’est-à-dire ceux qui comprennent deux périodes séparées ou plus dans une journée de travail, et insister pour obtenir des horaires normaux et prévisibles.

  • réduire le plus possible le travail de nuit.

  • réclamer une meilleure dotation en personnel et la participation des travailleurs et du syndicat à l’établissement des horaires.

  • négocier des services de garde flexibles pour les travailleurs effectuant des quarts.

  • réclamer l’accès à des aliments nutritifs sur les lieux de travail.

  • tenir compte des besoins de ces travailleurs au plan familial et en matière de transport.

  • veiller à ce que les quarts de nuit ne dépassent jamais huit heures.

Les risques du travail par quarts devraient être éliminés dans la mesure du possible. Sinon, il faut au moins les contrôler. Pour ce faire, une bonne organisation du travail et des horaires bien planifiés sont essentiels.

Lumière bleue et suppression de la mélatonine

La perturbation de la sécrétion de la mélatonine constitue un facteur potentiel de risque pour le cancer, mais de nombreuses études démontrent qu’elle peut aussi nuire à la structure du sommeil. De nombreuses sources d’éclairage artificiel (lampes, appareils électroniques, etc.) produisent une lumière avec une longueur d’onde plus courte (côté bleu du spectre). Des recherches récentes suggèrent que cette lumière bleue influe sur la production de mélatonine[iv]. Heureusement, plusieurs études tendent à démontrer l’efficacité des lentilles en verre teinté ambré pour bloquer la lumière bleue et la lumière intense et ainsi réduire les effets de la suppression de la mélatonine[v]. Les lentilles en verre teinté ambré pourraient favoriser un sommeil plus reposant chez les travailleurs effectuant des quarts de soir et de nuit, lorsqu’elles sont utilisées pendant les dernières heures du quart de travail et avant le coucher.

Stratégies pour changer les choses

En plus des mesures suggérées ci-dessus, les stratégies suivantes permettent d’éliminer les risques du travail par quarts :

  • inscrire et maintenir les problèmes relatifs au travail par quarts à l’ordre du jour des réunions du comité de santé-sécurité jusqu’à ce qu’ils se règlent.
  • exiger que les employeurs respectent les lois, les règlements et les normes du travail en matière d’organisation des quarts de travail.
  • réclamer une réglementation gouvernementale sur le travail par quarts pour que les travailleurs puissent bénéficier de cycles adéquats de travail et de repos.
  • lorsque la loi ne prévoit pas de mécanismes de contrôle, de surveillance ou d’accès à l’information concernant les risques du travail par quarts, négocier de telles dispositions dans la convention collective.
  • faire des  questions relatives aux risques du travail par quarts comme les périodes de travail et les pauses, des enjeux de négociation. À la table, exiger aussi des vacances plus longues pour les travailleurs effectuant des quarts.
  • élaborer une politique sur le travail par quarts dans les milieux de travail syndiqués par le SCFP. Cette politique doit reconnaître que ce type de travail pose des risques pour la santé et la sécurité et que tout doit être mis en œuvre pour les prévenir.
  • exercer des moyens de pression collectifs pour faire avancer vos revendications en matière de travail par quarts.

Conclusion

Les employeurs sont responsables d’assurer un milieu de travail sain et sécuritaire. Les travailleurs et les membres du comité de santé-sécurité doivent participer à l’élimination et à la gestion des risques associés au travail par quarts. Grâce à l’éducation et à l’action militante, les risques du travail par quarts peuvent être atténués.


[i] http://www.iwh.on.ca.

[ii] http://monographs.iarc.fr/ENG/Monographs/vol98/mono98-8.pdf.

[iii] Dr RobertWhiting, Risks Associated with Shift Work, Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, baladodiffusion, 19 août 2014.

[iv] G. Brainard, J. Hanifin, Greeson., B. Byrnel,. G. Glickman, E. Gerner, M. Rollag, « Action Spectrum for Melatonin Regulation in Humans : Evidence for a Novel Circadian Photoreceptor », Journal of Neuroscience, vol. 21, no 16, (2001), p. 6405-6412.

[v] A. Sasseville, N. Paquet, J. Sévigny, J.-M. Hébert, « Blue blocker glasses impede the capacity of bright light to suppress melatonin production », Pineal Research, vol. 41, no 1 (août 2006), p. 73-80.

B. Wood, M.-S. Rea, B. Plitnik, M.-G. Figueiro, « Light level and duration of exposure determine the impact of self-luminous tablets on melatonin suppression », Applied Ergonomics, vol. 44, no 2 (mars 2013), p. 237-40.