David Robbins | Service des communications du SCFP
En avril 1998, la Cour d’appel de l’Ontario ordonnait l’ajout des mots « ou de même sexe » à la définition de conjoint utilisée pour les régimes de retraite en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ces quatre petits mots constituaient une énorme victoire pour les droits des gais et des lesbiennes. Le gouvernement fédéral de l’époque a décidé de ne pas porter la décision en appel. Une impulsion supplémentaire était donnée au mouvement pour l’égalité des gais et des lesbiennes partout au pays. Au fil des décennies, les syndicats et les mouvements sociaux pour l’égalité ont mené ce combat dans la rue, à la table de négociations et devant les tribunaux. Le SCFP se bat depuis longtemps pour le respect et la justice, notamment en défendant le droit à l’égalité des gais et des lesbiennes.
Mais comment ce changement révolutionnaire est-il arrivé? Deux employées du SCFP sont allées en cour pour défendre leur droit, en tant que conjointes de même sexe, à des prestations de retraite.
Grâce au soutien complet du plus grand syndicat canadien et avec l’aide du Programme de contestation judiciaire, elles ont fait valoir leurs arguments et elles ont gagné, concrétisant ainsi la notion d’égalité tel que garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.
Ces deux femmes vou laient que leurs partenaires puissent bénéficier des mêmes protections que celles accordées aux conjoints des employés hétérosexuels du SCFP. Grâce à ce changement, leurs conjointes auront aussi droit à des prestations de retraite en cas de décès.
Au printemps 1990, Nancy Rosenberg regardait fixement le formulaire des ressources humaines qu’elle devait remplir pour s’inscrire aux régimes de retraite et d’avantages sociaux du SCFP.
Elle avait le choix entre cocher « célibataire », « mariée » ou « divorcée », mais aucune de ces options ne correspondait à sa situation. Devait-elle cocher « célibataire », nier encore une fois sa réalité ? Non, pas cette fois. Elle venait tout juste de se battre pour avoir le droit de visiter sa conjointe de même sexe à l’hôpital. Nancy Rosenberg a donc pris la décision de demander à son employeur de reconnaître sa partenaire et leur relation de conjointes de fait.
Le SCFP a accédé à sa demande. Le syndicat a changé sa définition du terme « conjoint » pour y inclure les couples de même sexe, au moins aux fins de ses propres politiques sur les prestations de retraite.
Mais comme le régime de retraite du SCFP était enregistré auprès du gouvernement fédéral, sa définition de conjoint devait correspondre à celle utilisée dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette loi définissait le conjoint comme une personne « du sexe opposé ». Revenu Canada a même fait savoir au SCFP que s’il modifiait sa définition de conjoint, l’enregistrement de son régime de retraite pourrait être révoqué. Cela aurait eu des conséquences désastreuses pour tous les employés du SCFP et les conjoints de même sexe n’auraient toujours pas eu droit aux prestations de survivant.
Pour changer les choses, il fallait contester la définition de la loi devant les tribunaux en vertu du droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.
Nancy Rosenberg en avait justement marre de toutes les « humiliations » et des différentes formes de discrimination qu’elle et d’autres devaient endurer parce qu’elles étaient lesbiennes.
Sa collègue Margaret Evans était dans le même état d’esprit. En tant qu’employées du SCFP, Nancy, une conseillère juridique, et Margaret, une recherchiste en négociation collective, cotisaient au même régime de retraite que leurs collègues. Elles étaient lesbiennes, chacune avait la même conjointe depuis longtemps et, à leur avis, celles-ci auraient dû avoir droit à la prestation de survivante si elles venaient à décéder.
« À l’époque, nos membres, et tout particulièrement ceux de la communauté LGBTTI, étaient affectés par de nombreuses problématiques. C’était le début des années 1990. Il y avait beaucoup de discrimination à notre endroit autour du VIH-sida, des avantages sociaux et des régimes de retraite », a indiqué Margaret Evans.
Elle se rappelle avoir reçu un appel d’un conseiller syndical au sujet d’un membre qui travaillait comme infirmier auxiliaire dans un hôpital du nord de l’Ontario. Le conjoint du membre venait de mourir de complications liées au sida. Ses collègues ne voulaient plus travailler avec lui. Ils le rejetaient. Il a dû poser sa candidature à un poste d’un échelon inférieur afin de les éviter.
Hélas, c’était la réalité de l’époque.
Heureusement, cette hostilité a aussi stimulé le courage et la solidarité. Quand Nancy Rosenberg et Margaret Evans ont voulu prendre des recours juridiques, elles ont bénéficié du soutien complet de leur employeur, le SCFP, et du mouvement de lutte pour les droits des gais et des lesbiennes.
Selon Nancy Rosenberg, les mouvements sociaux se multipliaient un peu partout et les choses se bousculaient.
« Nous faisions toutes sortes de choses pour que tout le mouvement syndical s’implique. Margaret et moi avons préparé une trousse de négociation pour les droits des gais et lesbiennes. À l’époque, les recherches sur le droit à l’égalité et les avantages sociaux, entre autres sur la manière de traiter avec les assureurs, étaient quasi-inexistantes », a-t-elle raconté.
Cette trousse, la première du genre, a été très populaire et le SCFP l’a largement distribuée. Selon Nancy Rosenberg, la plupart des commissions provinciales des droits de la personne du pays en ont commandé des exemplaires. À la même époque, des membres du SCFP ont mis sur pied le premier Comité du triangle rose de notre syndicat. D’autres organisations ont fait de même.
À la fin des années 90, la hausse du militantisme et la visibilité accrue qui en a découlé ont entraîné une plus grande acceptation des gais et des lesbiennes et des familles homosexuelles au sein du syndicat et de la société en général. Certains juristes canadiens partageaient aussi ce point de vue.
C’est ce que reflète le jugement rendu le 23 avril 1998 :
La vieillesse et la retraite ne sont pas l’apanage des personnes hétérosexuelles, et il n’y a rien dans le fait d’être hétéro sexuel qui justifie un traitement préfé rentiel de la part des gouvernements face à une possible insécurité économique. […] Il est difficile de voir un lien rationnel entre la protection des conjoints hétéro sexuels contre l’insécurité que provoque le décès de leur partenaire et le refus de cette même protection aux partenaires gais ou lesbiennes qui cohabitent.
En termes d’admissibilité, l’orientation sexuelle du partenaire survivant n’est pas plus pertinente que la race, la couleur ou l’origine ethnique de l’individu.
L’avocat Peter Engelmann du cabinet Goldblatt Partners, spécialiste du droit du travail et des droits de la personne, a représenté le SCFP, Nancy Rosenberg et Margaret Evans. Il raconte avoir ressenti une grande satisfaction lorsque la cour a rendu sa décision.
« Je pratiquais dans le domaine des droits de la personne depuis le milieu des années 1980. J’ai vraiment eu l’impression que, grâce à cet effort collectif, nous venions de faire progresser le droit. C’était merveilleux de travailler avec un employeur progressiste qui voulait rendre son régime de retraite plus inclusif. J’étais content pour Nancy et Margaret, ainsi que pour les personnes en couple qui souhaitaient laisser des prestations de retraite à leur conjoint de même sexe. », s’est-il rappelé.
La victoire en cour d’appel a été la conclusion d’une longue bataille juridique. Une série de recours similaires avaient échoué dans les années 1990. Mais cette fois, le contexte était différent. « Le SCFP, en tant qu’employeur de Nancy et Margaret, voulait modifier son régime de retraite pour permettre aux conjoints de même sexe de recevoir des prestations. Le SCFP a pris le procès en main et cela a fait toute la différence », a souligné Peter Engelmann.
Ce facteur a été important, tout comme le fait que Peter Engelmann et son équipe se sont retrouvés devant un « bon banc » : des juges progressistes et d’un haut niveau intellectuel. Les juges les ont bombardés de questions et étaient réellement intéressés. L’avocat se souvient être sorti de l’audience avec optimisme.
Même s’il y a lieu de célébrer le 20e anniversaire de cette victoire, le travail n’est pas terminé, a-t-il cependant ajouté.
« La communauté LGBTTI fait un travail remarquable dans le dossier des droits des transgenres, mais il y a encore beaucoup à faire. Les pires cas de harcèlement que j’ai eus à plaider concernaient des personnes transgenres », a poursuivi Peter Engelmann.
Le président national du SCFP, Mark Hancock, est fier de la feuille de route du syndicat en matière de défense et de promotion du droit à l’égalité. Pour lui, cela fait partie intégrante de la mission de défense des droits syndicaux et sociaux du SCFP.
« Nous célébrons les progrès réalisés, tout en sachant qu’il y a encore du chemin à faire. Trop de personnes subissent encore la haine, la violence et l’exclusion. C’est pourquoi le SCFP continuera de défendre tous les membres de la vaste famille canadienne, sans égard à leur orientation sexuelle ou au genre auquel ils s’identifient », a déclaré Mark Hancock.
Selon Peter Engelmann, les syndicats sont en première ligne pour promouvoir les droits de la personne. Rien de plus normal, donc, que les membres du SCFP aient cette cause à cœur.
« Les syndicats ont toujours été au cœur des combats pour l’amélioration des lois sur les droits de la personne et de la protection de la diversité sexuelle et de genre, tout comme ils l’étaient pour l’adoption de lois contre le travail des enfants, pour le salaire minimum et pour l’équité salariale. Ça fait partie de l’ADN des syndicats », a conclu Mark Hancock.