La vue d’ensemble

Le premier budget du gouvernement de Justin Trudeau est à l’image de son plan d’infrastructure : il répare en partie les dommages laissés par une décennie de règne Harper, sans proposer une orientation claire pour l’économie, particulièrement au chapitre de la création de bons emplois pour les travailleurs.

Harper avait graduellement ramené la taille de l’État fédéral à sa plus petite part de l’économie depuis le milieu des années 1940. Le premier budget Trudeau inverse cette direction, mettant fin, en fait, à une tendance qui perdurait depuis 35 ans, soit depuis le début des années 1980.

Le budget soutient principalement :

  • les familles avec enfants à charge, par le biais de la nouvelle Allocation canadienne pour enfants qui accroît les prestations que recevront les familles dont le revenu est inférieur à 150 000 $ ;
  • les chômeurs, en annulant les compressions de Harper dans l’assurance-emploi, ainsi qu’en prolongeant les prestations dans les régions touchées par une hausse marquée du taux de chômage ;
  • l’infrastructure, particulièrement les transports en commun, le logement abordable, l’adaptation écologique, les systèmes d’eau et d’eaux usées et les établissements postsecondaires, mais les montants sont inférieurs aux promesses électorales ;
  • les peuples autochtones et les Premières Nations, en consacrant une somme substantielle aux infrastructures éducatives, communautaires et d’eau ;
  • la lutte au changement climatique, les technologies propres et l’environnement, y compris les pêches et les océans ;
  • la jeunesse, en bonifiant les bourses d’études canadiennes et en renouvelant la Stratégie emploi jeunesse, mais à moindre échelle que ce que promettait la plateforme libérale ;
  • l’enseignement postsecondaire, en bonifiant les bourses d’études, en assouplissant les règles de remboursement des prêts étudiants et augmentant les subventions à la recherche ;
  • les personnes âgées, en augmentant le Supplément de revenu garanti et en ramenant à 65 ans l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse et au SRG. Le ministre affirme être résolu à conclure un accord avec les provinces sur une bonification du RPC d’ici la fin de l’année ;
  • les anciens combattants, en augmentant le soutien financier et en rouvrant les points de service du ministère

Le budget prévoit aussi des mesures afin de sanctionner l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. En effet, le gouvernement consacre une somme additionnelle de 800 millions de dollars à cette fin, ce qui lui permettrait de récupérer 10 milliards de dollars, sur cinq ans, en recettes fiscales.

Toutes ces mesures sont de bonnes nouvelles. Elles font beaucoup pour redresser les torts et la négligence issus de l’ère Harper. Pourtant, il faudra en faire beaucoup plus si on veut rebâtir une économie durable et diversifiée, créer plus d’emplois de qualité, améliorer les services publics et rehausser le niveau de vie de l’ensemble des Canadiens. Ce budget remet à plus tard bon nombre des mesures requises pour atteindre ces objectifs.

Les grandes priorités du SCFP sont les suivantes : investissement de l’État pour rebâtir notre économie de manière à la diversifier, générer une croissance durable et créer de bons emplois ; des prestations de retraite décentes pour tous par le biais d’améliorations au Régime de pensions du Canada ; des services publics abordables d’éducation préscolaire et de garde d’enfants ; un nouvel accord sur la santé qui permettra d’améliorer les soins de santé publics ; et une plus grande équité fiscale.

Le budget constitue un bon premier pas vers cette reconstruction, mais c’est avec les budgets subséquents que l’on constatera si, oui ou non, le gouvernement Trudeau s’engage dans la voie de changements progressistes positifs à long terme.

Sur les enjeux : présences et absences

Le déficit et la dette

Le déficit fédéral est évalué à 29 milliards de dollars (29 G$) pour chacune des deux prochaines années, puis 23 G$ en 2018-2019, 18 G$ en 2019-2020 et 14 G$ en 2020-2021. Ces montants incluent une réserve en cas d’imprévu de 6 G$. Ce déficit fait beaucoup jaser, parce qu’il est nettement supérieur aux 10 milliards de dollars dont parlaient les Libéraux en campagne électorale et qu’on se questionne sur la viabilité du plan financier du gouvernement. Cela dit, devant la détérioration de l’économie, accroître le déficit constitue la bonne décision.

Le déficit proposé par les Libéraux est nettement moins important que celui de 50 G$ qu’a fait Harper en 2009-2010. Il représente à peine 1,5 % du PIB, ce qui est inférieur à ce que plusieurs économistes préconisaient, y compris les économistes de grandes banques. Les taux d’intérêt étant à leur plus bas (certains sont même négatifs), l’heure est venue pour le fédéral d’emprunter afin d’investir dans l’économie. Le coût du service de la dette fédérale n’a jamais été aussi bas en 50 ans. Il représente à peine le quart de ce qu’il était il y a 25 ans.

Quand on parle de déficit des finances publiques, ce qui compte ce n’est pas sa taille, mais ce qu’on en fait. Les dépenses publiques dans les garderies, l’infrastructure, la santé et l’éducation entraînent une forte croissance de l’économie et de l’emploi, tandis que les baisses d’impôt pour les sociétés et les riches stimulent très peu l’économie. Autrement dit, on peut produire une croissance économie et une création d’emploi importantes en augmentant les dépenses de l’État dans ces secteurs tout en haussant les impôts des sociétés et des personnes à revenu élevé d’un montant équivalent, ce qui aurait un effet nul sur le déficit.

Comme le démontre l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral 2016, le fédéral aurait pu créer 500 000 emplois, tirer de la pauvreté plus d’un million de personnes, réduire les inégalités et dynamiser l’économie s’il avait investi massivement dans les services publics et mis en place un régime fiscal plus équitable.

Trudeau avait promis de revoir les dépenses fiscales et d’éliminer les échappatoires, mais il a fait bien peu de choses en ce sens. Nous le pousserons à aller beaucoup plus loin dans les prochains budgets. Pour améliorer l’équité et assurer la viabilité fiscale des améliorations aux services publics qu’ils ont promis, les Libéraux auront besoin d’une réforme fiscale progressiste.

De bons emplois

Le Canada compte plus de 1,4 million de chômeurs ; le taux de chômage atteint 7,3 pour cent. Nous avons besoin d’un plan concerté pour créer de bons emplois.

Ce budget comporte quelques mesures destinées à créer de l’emploi, mais celles-ci sont insuffisantes. Les analystes estiment que les mesures additionnelles prévues dans ce budget produiront 43 000 emplois cette année et 100 000 de plus en 2017-2018, principalement en raison de l’accroissement des dépenses en infrastructure et de la hausse des prestations de l’Allocation canadienne pour enfants et du SRG. Cela ne fera pas bouger de beaucoup le taux de chômage. Depuis un an, on dénombre près de 100 000 nouveaux chômeurs.

Le SCFP et le Réseau pour une économie verte ont expliqué au gouvernement fédéral comment il pourrait créer un million d’emplois « verts » en dix ans par le biais d’investissements dans les transports en commun, les énergies renouvelables et la rénovation énergétique. L’investissement dans la santé, l’éducation et l’infrastructure publique constituent aussi de bons choix pour générer de l’emploi tout en améliorant les services publics, d’autant plus que les postes dans le secteur public ont tendance à être de bons emplois. L’investissement dans les services de garde et l’éducation préscolaire, en plus fournir un service public important qui permet de réduire les inégalités, génère plus d’emplois qu’un investissement équivalent dans n’importe quel autre secteur de l’économie.

Ce budget ne fait aucune mention de la promesse électorale des Libéraux de ramener la politique sur les justes salaires pour l’approvisionnement de l’État fédéral. En outre, il ne dit rien sur l’éventuel rétablissement et l’augmentation du salaire minimum des travailleurs sous réglementation fédérale.

Aucune des mesures que contient le budget d’aujourd’hui ne viendra contrebalancer les pertes d’emplois qui surviendront si le gouvernement libéral va de l’avant avec les accords de protection des investissements du privé, comme l’Accord économique et commercial global (AÉCG) et le Partenariat transpacifique (PTP). Les experts estiment que le PTP entraînera la perte de 58 000 emplois au Canada et qu’il accroîtra l’inégalité des revenus.

Les enfants et les familles

Pièce maîtresse de ce budget, l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) remplace la Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) du gouvernement Harper, tout en intégrant la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) et le Supplément de la prestation nationale pour enfants (SPNE).

La nouvelle ACE variera selon le revenu, diminuant graduellement à partir de 65 000 $, mais elle ne sera pas imposable. Une famille à revenu moyen ayant deux enfants ou plus et les familles dont le revenu se situe entre 40 000 $ et 90 000 $ peuvent s’attendre à voir leurs prestations augmenter de 2 000 $ ou plus par année. Selon les calculs du gouvernement, toutes les familles dont le revenu total est inférieur à 150 000 $ tireront plus de l’ACE qu’elles recevaient des programmes qu’elle remplace. L’ACE devrait aider à tirer de la pauvreté quelque 300 000 enfants. Le fédéral a demandé aux provinces et aux territoires de ne pas réduire l’aide sociale en guise de compensation, comme ce fut le cas, dans le passé, avec l’introduction de certaines prestations pour enfants.

Le fédéral s’est engagé à œuvrer, avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones, à l’élaboration d’un « cadre national pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants », à titre de premier pas vers l’offre de services de garde abordables, flexibles, de qualité et réellement inclusifs. Le budget consacre 500 millions de dollars à cette fin, mais seulement à compter de 2017-2018. Cette enveloppe inclut une somme de 100 millions de dollars pour soutenir l’apprentissage et la garde des jeunes enfants dans les réserves.

Les SCFP et les centaines de milliers de familles qui ne trouvent pas de places abordables en garderie réclament une action plus poussée en vue de mettre sur pied un système national de garderies publiques, sans but lucratif, abordables et de qualité. Le SCFP et d’autres organismes de défense des services de garde réclamaient du fédéral qu’il réserve une somme, dès ce budget, pour aider les communautés autochtones et les provinces à développer ces systèmes et à assurer la nature publique de ces réseaux de garderies.

Infrastructure publique

Comme promis, le budget débloque un financement immédiat pour l’infrastructure. La phase 1 entre en action dès maintenant. Elle se concentre surtout sur la réparation des infrastructures existantes. La phase 2, qu’on entamera dans deux ans, se consacrer plus à la construction de nouvelles infrastructures ; c’est elle qui reçoit la part du lion, avec huit des dix années de financement du plan. La phase 1, bonifiée d’une somme additionnelle de 11,9 milliards de dollars sur cinq ans, comprend :

  • 3,4 milliards de dollars sur trois ans afin de rénover et d’améliorer les réseaux de transport en commun partout au Canada. Cette somme est répartie entre les provinces et les territoires ;
  • 5 milliards de dollars sur cinq ans pour des investissements dans des projets d’infrastructure verte, d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, dont 2 milliards de dollars pour un fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées ;
  • 3,4 milliards de dollars sur cinq ans pour l’infrastructure sociale, particulièrement le logement abordable, mais aussi l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, l’infrastructure culturelle et récréative et les installations de soins de santé communautaires dans les réserves.

Ces sommes (6,5 milliards de dollars en tout) sont moins importantes que ce que promettaient les Libéraux dans leur plateforme électorale, soit 10 milliards de dollars.

Le fédéral financera jusqu’à 50 % des coûts admissibles des projets acceptés dans le cadre du fonds pour l’infrastructure de transport en commun et le fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées.

Le SCFP est heureux de constater que le budget libéral ne fait pas ouvertement la promotion des partenariats public-privé (les PPP). Des représentants du gouvernement ont confirmé que l’évaluation en mode PPP sera retirée. En outre, le ministre de l’Infrastructure a déclaré qu’il lèvera l’exigence de réalisation en mode PPP pour les projets de transport en commun. Ce budget annonce aussi que la responsabilité de PPP Canada inc. est transférée au ministre de l’Infrastructure et des Collectivités.

Cependant, l’essentiel du financement annoncé pour l’infrastructure (et tout le financement additionnel qu’accorderait la Banque de l’Infrastructure du Canada) fera appel à des PPP ou du financement privé à coût plus élevé. Un certain nombre des grands projets cités dans le budget sont des PPP, même si cela n’est plus une exigence du fédéral. Cela dit, le budget parle de « financement novateur », de mobiliser les régimes de retraite publics et d’autres sources de financement novatrices, comme le « recyclage d’actifs », en vue de rendre l’infrastructure plus abordable et plus durable à long terme, dans le cadre de la phase 2 du plan d’infrastructure. Ce vocabulaire est souvent synonyme de privatisation.

Le SCFP demande, encore une fois, au fédéral d’éliminer complètement PPP Canada inc. et de réinvestir le Fonds PPP Canada de 1,25 milliard de dollars dans les projets d’infrastructures publiques. L’infrastructure publique devrait être financée et exploitée par l’État. Pour respecter son nouvel engagement envers l’ouverture et la transparence, le gouvernement fédéral doit adopter une législation complète sur la responsabilisation et la transparence des PPP.

Une partie importante du financement additionnel pour l’infrastructure est consacrée au logement abordable, principalement aux projets de rénovation énergétique et d’économie de l’eau dans les logements sociaux existants. Le gouvernement double le financement de l’initiative Investissement dans le logement abordable et il accroît le logement abordable pour les aînés. Enfin, il consacre 90 millions de dollars sur deux ans à la construction et la rénovation des refuges et des maisons de transition pour les victimes de violence familiale.

Par contre, il manque à ce budget d’autres engagements qu’ont pris les Libéraux en matière de logement abordable, comme un assouplissement du Régime d’accession à la propriété et l’élimination de la TPS sur les investissements en capital dans les logements locatifs abordables. Ces mesures pourraient figurer dans un budget ultérieur.

Pensions et sécurité de la retraite

Tel qu’annoncé, le budget ramène l’âge de la retraite, aux fins de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti, de 67 à 65 ans. Il s’agit d’une importante décision positive qui profitera à tous les citoyens nés en 1959 ou plus tard, d’autant plus qu’elle est abordable, comme l’a démontré le directeur parlementaire du budget. Il s’agissait d’une priorité pour le SCFP et les autres syndicats. Nous sommes heureux que le gouvernement libéral ait tenu promesse.

La prestation complémentaire au Supplément de revenu augmente de 10 % dans certains cas pour les aînés vivant seuls, ce qui représente, à compter de juillet 2016, une somme supplémentaire de 947 millions de dollars pour les aînés les moins fortunés. C’est mieux que ce qu’avaient promis les Libéraux et 900 000 aînés vivants seuls devraient en profiter. Le gouvernement augmente aussi le soutien aux couples d’aînés qui reçoivent le SRG et qui doivent vivre séparément pour des raisons qui échappent à leur contrôle.

Pour faire reculer la pauvreté chez les aînés, il est plus important d’augmenter le niveau de prestation du Régime de pensions du Canada (RPC). Dans ce budget, le ministre s’engage à travailler avec les provinces et les territoires en vue de prendre une décision collectivement dans le dossier de la bonification du RPC d’ici la fin de 2016. Nous pressons le fédéral de faire preuve de convaincre ses partenaires d’opter pour une bonification universelle du RPC au lieu de s’en remettre à des mesures fragmentaires et provinciales, comme le régime volontaire qu’a proposé l’Ontario.

Assurance-emploi

Ce budget remplit la plupart des promesses des Libéraux en matière d’assurance-emploi :

  • Il abaisse le nombre d’heures exigé de la part des personnes qui deviennent ou redeviennent membres de la population active pour avoir droit à l’AE.
  • Il annule la réforme menée par le gouvernement Harper en 2012, réforme qui forçait les chômeurs à quitter leur communauté pour accepter un emploi moins rémunérateur.
  • Il fait passer le délai de carence de deux semaines à une semaine.

La surprise, c’est cette mesure qui prolonge les prestations régulières d’AE de cinq semaines, jusqu’à concurrence de 50 semaines, pour tous les demandeurs admissibles dans les 12 régions économiques qui ont subi la plus forte hausse de leur taux de chômage. Ces régions sont Terre-Neuve-et-Labrador, Sudbury, le nord de l’Ontario, le nord du Manitoba, le nord de la Saskatchewan, Saskatoon, le nord et le sud de l’Ontario, Calgary, le nord de la C.-B., Whitehorse et le Nunavut. Cette mesure est bonne pour un an à compter de juillet 2016, mais elle sera appliquée de manière rétroactive à toutes les demandes de prestation présentées depuis le 4 janvier 2014. Les travailleurs de longue date des mêmes régions auront droit à 20 semaines supplémentaires de prestations, jusqu’à concurrence de 70 semaines.

Ce budget reconduit le projet pilote Travail pendant une période de prestations jusqu’en août 2018, en plus de prolonger la durée maximale des accords de travail partagé, cette durée passant de 38 à 76 semaines, et de consacrer des sommes additionnelles à l’amélioration de l’accès à l’assurance-emploi.

Par contre, le gouvernement reporte à plus tard l’assouplissement du congé parental et des circonstances de travail de l’AE, ainsi que l’introduction d’une prestation de compassion plus souple et plus accessible.

Formation, compétences et développement de la main-d’œuvre

Le budget prévoit un financement additionnel pour l’acquisition de compétences et la formation, mais les sommes sont inférieures à celles promises dans la plateforme libérale. Le budget comporte :

  • 125 millions de dollars en 2016-2017 au titre des Ententes sur le développement du marché du travail avec les provinces (la plateforme libérale promettait 500 millions) ;
  • 50 millions de plus au titre des ententes sur le Fonds canadien pour l’emploi (contre 200 millions dans la plateforme) ;
  • 85 millions de dollars sur cinq ans pour la formation des apprentis en milieu syndical, à compter de 2017-2018, ce qui est inférieur aux promesses ;
  • 15 millions sur deux ans pour l’acquisition de compétences et la formation des travailleurs autochtones, ce qui est aussi inférieur aux promesses.

Le SCFP a pressé le gouvernement fédéral de rétablir et de maintenir le financement de base des programmes et des organismes voués à l’alphabétisation et à l’acquisition de compétences essentielles, dont le Bureau de l’alphabétisation et des compétences essentielles (BACE). L’alphabétisation et les compétences essentielles devraient être intégrées au préapprentissage et à la formation et s’inscrire dans une stratégie de formation pancanadienne bien financée, ainsi que dans la Stratégie de réduction de la pauvreté.

La seule mention de l’alphabétisation dans ce budget concerne les programmes d’alphabétisation et de numératie dans les réserves, auxquels il consacre 100 millions sur cinq ans.

Premières Nations et peuples autochtones

Le budget fédéral 2016 accroît considérablement le financement consacré aux Premières Nations et aux peuples autochtones. Il comporte :

  • 2,6 milliards de dollars sur cinq ans pour améliorer l’éducation primaire et secondaire dans les réserves ;
  • 1,1 milliard de dollars pour le logement et l’infrastructure sociale dans les collectivités des Premières Nations ;
  • 729 millions de dollars sur cinq ans pour les infrastructures d’eau et d’eaux usées dans les réserves, ainsi que pour la gestion des déchets dans les collectivités des Premières Nations ;
  • 635 millions de dollars sur cinq ans pour les organismes de protection de l’enfance des Premières Nations ;
  • 40 millions de dollars pour l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Ce budget consacre peu d’argent aux peuples et aux collectivités inuit et métis.

Il est évident que ce budget fait d’importantes avancées dans ce dossier, après de nombreuses années d’abandon de la part des Conservateurs. Or, il faudra en faire plus pour ramener les conditions dans les collectivités autochtones et les opportunités offertes aux peuples autochtones au niveau de celles des autres Canadiens. Il s’agit d’une question de droits de la personne, mais cela profiterait aussi à l’ensemble de la population. Strictement en termes financiers, selon le Centre d’étude des niveaux de vie, la production économique du Canada augmenterait de 36,5 milliards de dollars et le solde de l’État s’améliorerait de 17,7 milliards de dollars en dix ans si on éliminait les écarts au chapitre de l’éducation, du marché du travail et du mieux-être social.

Environnement et changements climatiques

Le budget fédéral 2016 comporte des investissements importants dans les technologies propres. Il augmente aussi le financement consacré à la recherche sur les écosystèmes d’eau douce, la protection des océans et les parcs nationaux. Il vise aussi à rétablir la crédibilité du processus d’évaluation environnementale du Canada. La phase 1 du nouveau plan fédéral d’infrastructure et des programmes s’adressant aux Premières Nations et aux collectivités autochtones comportent plusieurs projets et programmes de rénovation et d’efficacité énergétiques. Le budget comporte :

  • plusieurs promesses électorales libérales en matière d’innovation et de développement des technologies propres totalisant 400 millions de dollars sur deux ans ;
  • à compter de 2017-2018, 2 milliards de dollars sur deux ans pour un fonds pour une économie à faibles émissions de carbone qui soutiendra des mesures provinciales et territoriales visant à réduire concrètement les GES ;
  • 197 millions de dollars sur deux ans pour approfondir la recherche sur les mesures permettant de réduire la pollution de l’air ;
  • l’expansion du réseau de parcs nationaux et l’accès gratuit aux parcs nationaux du Canada en 2017 (accès gratuit pour les enfants par la suite).

Toutes ces mesures sont positives, mais il faudra poser des gestes plus significatifs si on espère respecter les engagements de Paris, soit ralentir les changements climatiques et limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius. Plus spécifiquement, les investissements dans l’infrastructure devraient tous respecter les plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et démontrer comment ils y arriveront.

Le SCFP demande au gouvernement fédéral d’adopter la proposition du Réseau pour une énergie verte qui veut qu’on investisse massivement dans les transports en commun, l’énergie renouvelable publique et la rénovation énergétique. Ce plan permettrait de réduire les émissions annuelles de GES du Canada d’environ 25 à 35 % tout en créant un million d’emplois « verts » sur cinq ans. Cela permettrait certainement d’aider une partie des gens qui ont perdu leur emploi en raison de la chute du prix du pétrole.

Le nouveau gouvernement libéral s’est engagé à apposer un prix sur le carbone en collaboration avec les provinces et les territoires, mais ce budget ne fait aucune allusion à une tarification du carbone. Le SCFP appuie la tarification du carbone, mais celle-ci doit se faire d’une manière progressive qui punira les sociétés pollueuses au lieu de punir les travailleurs à faible revenu. Les recettes réalisées grâce à cette tarification devront être réinvesties dans des investissements verts complémentaires, le recyclage professionnel, la création d’emplois verts et l’atténuation des conséquences des changements climatiques et de la tarification du carbone sur les Canadiens vulnérables. Enfin, les Libéraux ont encore beaucoup à faire pour tenir leur promesse électorale d’éliminer progressivement les subventions au secteur des énergies fossiles.

Santé

Ce budget contient très peu de choses pour la santé, outre la réitération d’un engagement à négocier un accord pluriannuel sur la santé et à poursuivre les discussions avec les provinces sur l’abordabilité des médicaments et l’amélioration de l’accès aux services de soutien à domicile et de santé mentale.

Pour parler argent, le budget consacre de petits montants à des choses comme l’Inforoute Santé du Canada, le Partenariat canadien contre le cancer, la bonification du programme Nutrition Nord Canada et l’amélioration de la salubrité des aliments. Le tout représente moins de 300 millions de dollars sur trois ans.

Ce budget ne finance aucune des autres grandes initiatives en santé qu’avait annoncées ce gouvernement précédemment. Par exemple, les 3 milliards de dollars pour le soutien à domicile dont faisait état le programme électoral du Parti libéral brillent par leur absence cette année. Et il n’y a rien dans ce budget pour financer un nouvel accord sur la santé avec les provinces et les territoires, alors que la ministre de la Santé poursuit les pourparlers avec les provinces.

Le SCFP et les militants du réseau public de la santé continueront de réclamer, pour les prochains budgets, des engagements nettement plus importants envers l’amélioration du système de santé public.

Études postsecondaires

Ce budget augmente le financement consacré aux études postsecondaires, comme l’avaient promis les Libéraux pendant les élections :

  • majoration de 50 % des bourses d’études canadiennes, qui passent à 3 000 $ par année pour les étudiants de famille à faible revenu, 1 200 $ pour ceux de famille à revenu moyen et 1 800 $ pour ceux à temps partiel ;
  • augmentation du seuil de remboursement des prêts, afin qu’aucun étudiant n’ait à rembourser son prêt d’études canadien avant de gagner au moins 25 000 $ par année ;
  • instauration d’une contribution à taux fixe de l’étudiant pour déterminer l’admissibilité aux bourses d’études canadiennes.

Le budget augmente aussi le financement des conseils de subvention à la recherche.

Enfin, on trouve une enveloppe supplémentaire (2 milliards de dollars sur trois ans) pour les investissements stratégiques dans l’infrastructure des établissements postsecondaires, dont une trop grande part ira soutenir la commercialisation et la privatisation. Ce financement cible la modernisation des installations de recherche et de commercialisation sur les campus, les installations de formation utiles à l’industrie dans les collèges, ainsi que les projets de réduction des émissions de GES et d’amélioration de la viabilité écologique.

Jeunesse

Le budget contient des engagements concernant spécifiquement la jeunesse, mais certains d’entre eux déçoivent comparativement aux promesses libérales :

  • 165 millions de dollars pour une Stratégie emploi jeunesse en 2016-2017 (les Libéraux promettaient 300 millions) ;
  • 25 millions de dollars par année pour les services à l’intention des jeunes, comme promis ;
  • 73 millions de dollars sur quatre ans pour augmenter le nombre de stages coopératifs (les Libéraux promettaient 40 millions par année).

Autres sujets

Le budget consacre spécifiquement aux femmes une seule petite enveloppe, soit une somme supplémentaire de 23 millions de dollars sur cinq ans pour renforcer les capacités de Condition féminine Canada, entre autres pour soutenir les organismes locaux qui se penchent sur les questions liées à la condition féminine et à l’égalité des sexes. On y trouve des augmentations importantes au financement des institutions culturelles et patrimoniales fédérales, comme Radio-Canada/CBC (comme promis), le Conseil des Arts du Canada et les musées nationaux. Le budget consacre 256 millions de dollars sur deux ans à l’aide internationale – une mesure positive, mais qui représente une augmentation inférieure à 3 pour cent. Il accorde 240 millions de dollars sur deux ans à l’aide à l’établissement des réfugiés syriens, ainsi qu’une augmentation importante du soutien financier aux anciens combattants. Le Programme de contestation judiciaire voit son financement rétabli ; Harper avait éliminé ce programme important qui aide les citoyens et les groupes à défendre leur droit à l’égalité.

Équité fiscale

La grande initiative en matière d’équité fiscale, dans ce budget, consiste en un engagement à sanctionner l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. Le gouvernement accorde à l’Agence du revenu du Canada 800 millions de dollars de plus sur cinq ans ; il espère que cet investissement lui rapportera 10 milliards de dollars sur cinq ans en recettes fiscales récupérées.

Voici quelques surprises :

  • l’élimination des crédits d’impôt pour la condition physique et les activités artistiques des enfants, qui sont réduits de moitié pour 2016 et qui disparaîtront en 2017 ;
  • le report de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises, qui demeure donc à 10,5 %, alors que les Libéraux avaient promis de le baisser à 9 %. 

Et voici les mesures fiscales qu’avaient promis les Libéraux et qui figurent effectivement dans le budget :

  • l’instauration d’un crédit d’impôt de 15 % pour les enseignants et les éducateurs de la petite enfance qui achètent des fournitures scolaires, applicable à la première tranche de 1 000 $ ;
  • majoration du crédit d’impôt pour habitants du Nord, qui passe de 15 $ à 22 $ par jour ;
  • l’élimination du crédit d’impôt pour études et du crédit d’impôt pour manuels.

Le budget prévoit quelques mesures pour s’attaquer aux abus en ce qui a trait au taux d’imposition des petites entreprises, mais les Libéraux ne modifient pas la déduction pour option d’achat d’actions, l’échappatoire fiscale la plus flagrante et la plus répandue chez les PDG. En outre, il contient très peu de choses quant à la réduction des subventions à l’industrie des énergies fossiles.

Pour financer les vastes promesses qu’ils ont faites en campagne électorale et que la population s’attend à voir dans les prochains budgets, les Libéraux devront mettre en place une réforme fiscale nettement plus progressiste et qui mettra fin, entre autres, aux échappatoires fiscales. Ils devront aussi imprimer une orientation progressiste claire à l’économie, particulièrement en matière d’amélioration des services publics et de création de bons emplois.