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Des partenariats public-privé

À l’heure actuelle, la plupart des Canadiennes et des Canadiens connaissent bien les origines de Paul Martin : propriétaire d’une compagnie de navigation, multimillionnaire qui évite de payer des impôts, antisyndical qui se moque des lois sur l’environnement et qui, devenu ministre des Finances, a éliminé les services sociaux et accordé des baisses d’impôts aux entreprises. Maintenant qu’il a réalisé son rêve de devenir président et chef de la direction du Canada, le programme « corporatif » de M. Martin pour le pays sort au grand jour. On peut le résumer en un petit acronyme qui hante tous les travailleurs et les travailleuses du secteur public d’un océan à l’autre : P3.

Lorsque Paul Martin a été assermenté en décembre dernier, il avait dans son sac de nombreux cadeaux pour ses amis du régime, dont un sous la forme de John McKay, député fédéral de Scarborough. M. McKay a été nommé secrétaire parlementaire du ministre des Finances et il est responsable en particulier des partenariats public-privé. John McKay n’a pas tardé à proposer la vente des responsabilités fédérales au secteur des affaires. « Le logement social en est une, l’électricité en est une autre, pour ne donner que deux exemples parmi plusieurs », a dit M. McKay dans un communiqué de presse.

Quelques semaines plus tard, John McKay dévoilait d’autres possibilités de P3 à un journaliste de la Colline du Parlement. « Les égouts, l’eau potable, tout ça peut être confié à des P3, a-t-il laissé échapper. Pourquoi le gouvernement devrait-il s’occuper de la gestion d’un réseau d’égouts ? Pourquoi un organisme public devrait-il posséder un hôpital ? Pourquoi un organisme public devrait-il financer un hôpital ? » Le nouveau tsar des P3, appuyé par deux sous-ministres en provenance du secteur privé, a annoncé que le nouveau programme d’infrastructure de 3 milliards de dollars du gouvernement fédéral serait mis aux enchères. À l’intention d’un autre journaliste, il a ajouté : « Il incombera au promoteur d’un projet de démontrer qu’un P3 ne convient pas. »

Murray Dobbin, auteur d’un nouveau livre intitulé « Paul Martin: CEO for Canada? » (Paul Martin : PDG du Canada ?), souligne que le premier ministre tient à ce que les P3 soient un élément central de son programme.
« Il est évident qu’il est en faveur des P3, affirme Murray Dobbin. Les gens ne s’en rendent pas encore compte, parce qu’il met la pédale douce pour l’instant. Il n’en parle pas dans son programme électoral. »

Mais depuis plusieurs années, M. Martin met tranquillement la table pour les partenariats public-privé au niveau fédéral. Lorsqu’il était ministre des Finances, le gouvernement libéral a organisé une conférence sur les P3, puis a créé un comité pour faire la promotion des P3. Industrie Canada a maintenant un Bureau des partenariats public-privé, qui offre même un guide d’utilisation pour les P3. « La croissance des P3 est mue par la demande publique pour des services de meilleure qualité et la restriction des budgets des États », peut-on lire dans le guide. Toutefois, ce guide ne dit pas que c’est Paul Martin lui-même qui a saigné les services publics, puis utilisé les surplus pour accorder des baisses d’impôts à ses riches sympathisants. Il est ironique de constater que ces riches sympathisants sont maintenant considérés comme des héros parce qu’ils offrent d’acheter des services que Paul Martin n’a pas eu le temps de démanteler comme ministre des Finances. Mais pour Murray Dobbin, les entreprises n’ont rien à perdre dans ces ententes de faveur. « On ne parle pas ici de libre entreprise, dit-il. Ce sont des profits garantis, sans risque. » Selon lui, les P3 sont pires que de la privatisation pure, parce qu’ils utilisent l’argent des contribuables pour permettre aux grandes entreprises de faire des profits. « C’est l’arnaque parfaite », affirme M. Dobbin.

C’est d’ailleurs une arnaque que les gouvernements provinciaux et municipaux mettent à l’essai depuis des années, entre autres avec certains collègues libéraux de M. Martin. Les premiers ministres libéraux des trois plus grandes provinces du Canada – Dalton McGuinty de l’Ontario, Jean Charest du Québec et Gordon Campbell de la Colombie-Britannique – sont tous en train de réaliser d’importants projets de P3, malgré la controverse suscitée et les dépassements de coûts. Le budget de l’hôpital privé modèle d’Abbotsford, en Colombie-Britannique, a déjà doublé et deux des principaux fonctionnaires de la province (qui ont un deuxième emploi comme collecteurs de fonds de M. Martin) font l’objet d’une enquête de la GRC pour trafic d’influence dans la vente de BC Rail, une transaction de 1 milliard de dollars. En Ontario, la multinationale à qui appartient l’autoroute 407 (un P3 modèle, selon le gouvernement Martin) a été accusée de rupture de contrat après avoir haussé les péages de 200 pour cent. Et au Québec, le premier ministre a retenu les services de son partenaire de golf et ancien voisin Brian Mulroney pour étudier la mise en œuvre d’hôpitaux P3, malgré les immenses manifestations qui ont eu lieu contre ce projet du gouvernement libéral.

À Ottawa, le climat favorable aux entreprises est évident au bureau même du premier ministre. Huit anciens lobbyistes du monde des affaires travaillent au Cabinet du premier ministre (CPM) et dix autres (dont le président de l’équipe de transition de M. Martin) ont occupé des postes de direction dans la course au leader-ship de Paul Martin. « Le Canada a un premier ministre acquis à la privatisation et entouré de personnes qui ont travaillé pour des privatiseurs », soutient le chef du NPD, Jack Layton. Avec Brian Mulroney, la question était de savoir qui se graissait la patte. Avec Paul Martin, la question est plutôt de savoir qui donnera – en effet, nos services publics sont offerts sur un plateau d’argent aux amis du régime de Paul Martin. » M. Martin a encore d’autres amis à contenter, même à l’extérieur du CPM. Pour devenir chef du parti libéral, le nouveau premier ministre a récolté des faveurs pour une valeur de plus de 12 millions de dollars dans sa campagne de financement. Ce montant inclut des dons de 100 000 $ de la part de certains des capitalistes les plus importants du Canada – des hommes aux noms comme Irving, McCain, Asper, Schwartz et Pattison. Le géant de la comptabilité Pricewaterhouse- Coopers, conseiller du gouvernement Martin en matière de P3, a aussi contribué généreusement à la campagne au leadership. Et, l’automne dernier, l’industrie de la construction, à qui les ententes P3 en infrastructure pourraient rapporter des millions de dollars, a amassé 750 000 $ pour Paul Martin en une seule soirée. La plupart de ceux qui ont contribué à la campagne de M. Martin disent qu’ils ne s’attendent à rien en retour. Mais d’autres ne craignent pas d’avouer qu’ils veulent un retour de l’ascenseur. Jack Kay, président d’Apotex, la plus importante compa-gnie pharmaceutique du Canada, a confié ce qui suit au journal The Hill Times : « Il faut de l’argent pour huiler les gonds du processus politique dans notre système, et c’est une façon de récolter des fonds et de serrer des mains. »

Pour Jack Layton, le scandale des commandites fédérales – qui implique huit boîtes de publicité ayant donné un total de 650 000 $ au parti libéral – devrait servir de signal d’alarme aux Canadiennes et aux Canadiens : il faudra s’attendre à ce genre de situation si Paul Martin réalise son programme de P3. « Si, en un clin d’œil, les amis des libéraux ont réussi à engloutir 100 millions de dollars en publicité, Paul Martin pense-t-il nous faire croire que rien de tel ne se produira lorsque son programme de privatisation sera en marche ? Des libéraux vendent à des libéraux, et des libéraux font du lobbying auprès de libéraux, et personne ne s’occupe des intérêts de la population. » Et si un autre scandale de commandites se produisait dans un contexte de P3, nous pourrions ne jamais être mis au courant. La vérificatrice générale Sheila Fraser affirme que les contrats privés rendent impossible la reddition de comptes sur la façon dont les impôts sont dépensés.

Murray Dobbin croit que, pour Paul Martin, le scandale des commandites sert de diversion. « On parle de sociétés d’État corrompues, dit-il, pour détourner l’attention du vrai problème : un parti libéral corrompu qui a des liens avec des entreprises corrompues. » M. Dobbin croit que les libéraux finiront par invoquer l’excuse du scandale pour privatiser des services dont la propriété est publique, comme Via Rail et Postes Canada. Il prédit aussi que si Paul Martin gagne les prochaines élections, le gouvernement fédéral obligera les municipalités à créer des P3 pour recueillir les paiements de transfert. « La machine est déjà en place; ils veulent installer des P3 partout où ils le peuvent, dit-il. Il s’agit d’un palier de gouvernement qui montre aux entreprises comment faire pour détruire un autre palier de gouvernement. »

Selon Jack Layton, un programme fédéral P3 est aussi la prochaine étape dans la destruction du système public de santé. « En Colombie-Britannique, les soins de santé privés prennent de l’ampleur parce que, selon le premier ministre libéral de la Colombie-Britannique, on s’attend à plus de souplesse de la part de Paul Martin, dont le principal conseiller dans cette province était lobbyiste pour une douzaine de cliniques privées, et ce 14 jours avant d’entrer au CPM. »

Le guide sur les P3 du gouvernement fédéral souligne que les projets doivent être « vendables », c’est-à-dire que leur succès doit être assuré. Pour le président national du SCFP, Paul Moist, il n’est pas difficile de prévoir à qui profitera ce succès assuré – aux grandes entreprises. M. Moist soutient que personne ne peut fournir les services publics mieux que les travailleuses et les travailleurs du secteur public et que la population le sait.

« Aucun gouvernement quel qu’il soit au Canada n’a jamais eu le mandat de privatiser les services publics, affirme Paul Moist. Et aucun sondage n’a jamais démontré que les Canadiennes et les Canadiens préfèrent la privatisation à la propriété publique, surtout pour des services vitaux comme la santé. »

Le secrétaire-trésorier national Claude Généreux est d’accord. « Nous devons absolument participer aux élections et soulever le troublant dossier des P3 auprès des candidates et candidats locaux », affirme-t-il. Le nouveau secrétaire parlementaire aux P3 de Paul Martin, John McKay, souligne qu’il a déjà commencé à vendre ses projets de privatisation à de grandes caisses de retraite et à des banques d’affaires. « Ils sont plus que prêts à faire des affaires, affirme Paul Moist. Nous devons donc être plus que prêts nous aussi à élire un gouvernement plus progressiste ou, à défaut, une opposition officielle plus progressiste qui sera suffisamment forte pour s’attaquer au programme d’affaires de Paul Martin.

Kaj Hasselriis