Le 30 janvier 2015, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-51, la loi antiterroriste de 2015. Le gouvernement tente actuellement de précipiter l’adoption de ce projet de loi par l’entremise du Parlement, sans permettre un débat en bonne et due forme de ce texte législatif controversé.
Tous les Canadiens sont fondés de se préoccuper des changements apporté au Code criminel, aux pouvoirs policiers, aux droits à l’application régulière de la loi, aux droits relatifs à la liberté d’expression, à la protection des renseignements personnels et à l’élargissement des pouvoirs de collecte de renseignements du gouvernement, autant d’aspects qui sont touchés par ce projet de loi.
Voici pourquoi
Limites à la liberté de parole/liberté d’expression
- Le projet de loi C-51 ajoute une nouvelle infraction au Code criminel qui limitera la liberté d’expression des Canadiens. Le nouvel article 83.221 stipule ce qui suit : « Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, quiconque, sciemment, par la communication de déclarations, préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général [avec ou sans intention]. »
- Actuellement, le Code criminel renferme 14 dispositions antiterroristes. On ne peut être inculpé d’une infraction criminelle que si une personne croit que vous avez déjà commis un acte terroriste. Le Code définit clairement ce qui constitue un acte terroriste.
- En vertu du projet de loi C-51, les choses pourraient devenir très différentes. Vous pourriez faire l’objet d’accusations au criminel pour avoir « préconisé ou fomenté la perpétration d’infractions de terrorisme en général. » Contrairement à un acte terroriste, le terme « infraction de terrorisme en général » n’est pas défini.
- La véritable crainte concerne l’opinion d’une personne à savoir si des personnes peuvent bloquer une route, dans le cadre d’une manifestation paisible dans une société libre et démocratique ou si une lettre à l’éditeur à l’appui d’un parti ou de l’autre, en Ukraine ou au Moyen-Orient, constitue la promotion d’« infractions de terrorisme en général ».
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Les juristes ont affirmé qu’il s’agissait de [traduction] « un terme délibérément opaque et inconnaissable ». Ils allèguent que cette nouvelle infraction limitera la liberté de parole au Canada et brimera le droit à la liberté d’expression que prévoit la Charte canadienne des droits et libertés.
Une police secrète canadienne?
- Le Parlement a mis sur pied le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en 1984. Il a délibérément séparé les activités de renseignement (SCRS) des activités d’application (GRC) pour protéger la vie privée et limiter l’abus de pouvoir.
- Le projet de loi C‑51 transforme le mandat du SCRS de manière fondamentale. Au lieu de compiler de l’information, le SCRS obtient le nouveau pouvoir de prendre des « mesures » pour « réduire une menace envers la sécurité du Canada ». En d’autres termes, le SCRS ne se contente plus de compiler des renseignements, il peut maintenant utiliser les renseignements rassemblés pour prendre des mesures contre les Canadiens.
- Et si le SCRS estime que vous représentez une menace pour la sécurité nationale, le projet de loi C-51
- lui donne des pouvoirs si généraux qu’il peut maintenant demander à un juge d’émettre un mandat l’autorisant à violer vos droits protégés par la Charte, comme la liberté d’expression et d’association, la protection de votre sécurité, de votre sûreté, de vos renseignements personnels et contre la détention arbitraire. Il n’a plus à prouver que vous avez commis un acte répréhensible, il lui suffit de croire que vous pourriez commettre un geste qu’il prétend être une menace.
- Dans les dernières années, l’absence d’un mécanisme de surveillance efficace du SCRS est devenue un problème grave. Bon nombre de personnes ont demandé une responsabilisation et une surveillance civile accrues. Le projet de loi C-51 élargit les pouvoirs du SCRS sans pour autant en resserrer la surveillance ou les vérifications ou prévoir de contrepartie à l’exercice de ses pouvoirs.
Menace envers la sécurité du Canada – Qui et quoi?
- Le projet de loi C-51 confère au SCRS le pouvoir de dissiper toute menace à la sécurité du Canada par des « moyens licites », y compris toute interférence avec la stabilité économique ou financière du Canada ou de son infrastructure. Ces définitions sont si générales qu’elles pourraient très bien inclure les protestations que le gouvernement considère comme une menace pour la stabilité économique, y compris les activités comme les barrages routiers, les manifestations pour l’environnement, les manifestations pour les droits des Autochtones et les arrêts de travail.
- Illicite ne signifie pas criminel. Les protestations paisibles qui ont été organisées sans les permis appropriés sont en principe illicites et pourraient être incluses dans cette clause tout comme les grèves qui ne se conforment pas au Code du travail.
- Bon nombre ont critiqué ces pouvoirs élargis, alléguant qu’ils constituent un outil politique pour le gouvernement lui permettant de diaboliser ses critiques et qu’ils ne contribuent que très peu sinon aucunement à lutter contre le terrorisme.
Violation des droits protégés par la Charte sans application régulière de la loi
- Le projet de loi C-51 élargit les pouvoirs des autorités policières et leur permet de détenir des personnes à titre de mesure préventive.
- Après le 11 septembre 2001 (9/11), le Code criminel a été modifié pour conférer aux autorités policières le pouvoir de détenir une personne lorsqu’elles ont des motifs raisonnables de croire qu’une activité terroriste « sera » perpétrée, et que la détention est « nécessaire » pour l’empêcher. La détention sans accusation (qui n’est habituellement pas autorisée) pourrait durer jusqu’à trois jours.
- Avec le projet de loi C-51, les autorités policières pourront détenir des personnes jusqu’à sept jours si elles soupçonnent qu’une activité terroriste « pourrait » être perpétrée et que la détention est simplement « susceptible » d’en empêcher la perpétration.
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Les juristes ont allégué que les changements initiaux apportés après le 9/11 brimaient le droit à l’application régulière de la loi protégée par la Constitution. En vertu du projet de loi C-51, la norme de détention légitime a été si assouplie qu’il est probable que le projet de loi soit anticonstitutionnel.
Violation du droit au respect de la vie privée
- Le projet de loi C-51 autorise l’échange de renseignements personnels entre les ministères gouvernementaux. Cela signifie que les renseignements relatifs à la santé, à l’impôt sur le revenu et autres peuvent être communiqués aux autorités policières.
- En vertu du projet de loi C-51, l’information peut être communiquée pour de justes raisons en vertu du nouveau concept d’ « activités portant atteinte à la sécurité du Canada ».
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Le 30 janvier, le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada a exprimé des préoccupations au sujet des pouvoirs généraux qui seraient conférés par le projet de loi C-51 et, plus particulièrement, les pouvoirs qui autoriseraient les organismes gouvernementaux à échanger des renseignements personnels sur les citoyens canadiens ordinaires afin de détecter de nouvelles menaces envers la sécurité du Canada.
Le projet de loi C-51 est précipité au Parlement par le gouvernement sans laisser le délai nécessaire pour que nos élus puissent l’examiner et le scruter comme il se doit. Le Parti libéral s’est engagé à appuyer le projet de loi avant même d’en avoir consulté le contenu.
Le NPD maintient son opposition au projet de loi C-51 et a réussi à augmenter le nombre de jours consacrés aux témoignages d’experts qui commentent le projet de loi. Quoi qu’il en soit, le gouvernement n’accorde pas le délai nécessaire pour s’assurer que tous les Canadiens en connaissent le contenu et comprennent les répercussions qu’il aura sur nos vies.
Le Premier ministre Stephen Harper a affirmé que si vous êtes un citoyen qui respecte les lois, le projet de loi C-51 ne représente aucune menace pour vous. Ce n’est pas vrai. Il représente très certainement une menace pour les personnes qui choisissent d’exprimer leur désaccord avec le gouvernement ou de prendre des mesures collectives pour protéger leurs droits.
Surtout, le projet de loi C‑51 représente une menace considérable pour la démocratie canadienne en limitant la liberté d’expression, en portant atteinte à l’application régulière de la loi et en violant la protection de la vie privée. Il représente une menace pour chaque Canadien.