Tom Hooper et Gary Kinsman | Traduit par le SCFP

Les célébrations sont déjà commencées. Il paraît qu’en 2019, on souligne le 50e  anniversaire de la décriminalisation de l’homosexualité. La Monnaie royale canadienne dévoilera une pièce commémorative de un dollar en avril et le gouvernement fédéral a octroyé 700 000 $ à Egale Canada Human Rights Trust, une organisation nationale LGBTQ2, pour produire un film célébrant l’anniversaire.

Le problème, c’est que tout cela est basé sur un mythe. Il n’y a pas eu de décriminalisation, partielle ou autre. Aucune infraction n’a été abrogée en 1969. Les arrestations n’ont pas diminué.

Bien au contraire : le contrôle policier du sexe « indécent » a radicalement augmenté dans les décennies qui ont suivi cette soi-disant décriminalisation, dont plusieurs arrestations massives dans des saunas gais. La réforme de 1969 n’a rien fait non plus pour amoindrir la campagne de purge dans les forces militaires et la fonction publique, ce qui a eu un impact majeur sur les gens de la région d’Ottawa.

Alors pourquoi ce mythe de la décriminalisation est-il si largement accepté?

La réforme de 1969 n’avait rien à voir avec les manières dont l’homosexualité était criminalisée en pratique — l’État n’avais pas les ressources voulues pour surveiller les chambres à coucher des gens.

En 1967, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau déclarait que « l’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher ». Et il ajoutait : « … ce qui se fait en privé entre adultes ne concerne pas le Code criminel. Lorsque cela devient public, c’est une autre affaire. »

Le changement légal de 1969 adhérait à ce principe. Le gouvernement a ajouté une « clause d’exception » pour les infractions de sodomie et de grossière indécence. Ces infractions ne seraient plus des crimes si elles étaient commises dans un espace privé étroit, entre deux adultes de 21 ans et plus.

Avant 1969, tous les actes de grossière indécence et de sodomie étaient techniquement illégaux. Aucune distinction n’était faite en fonction de leur caractère public ou privé ou en fonction de l’âge. La réforme de 1969 ordonnait spécifiquement à la police d’agir contre des actes commis en public et impliquant des personnes de moins de 21 ans.

Ce changement n’avait rien à voir avec les façons dont l’homosexualité était criminalisée en pratique, tant avant qu’après 1969. Deux adultes de plus de 21 ans qui avaient des relations sexuelles en privé n’étaient habituellement pas visés par le maintien de l’ordre. L’État n’avait pas les ressources voulues pour surveiller les chambres à coucher des gens.

La réforme de 1969 a été facilitée par la décision de la Cour suprême dans la cause d’Everett George Klippert, en 1967. Klippert avait été condamné pour quelques chefs de grossière indécence consensuelle avec des hommes, dont la plupart étaient âgés de moins de 21 ans.

Puisqu’on a jugé que Klippert était susceptible de poursuivre ses activités homosexuelles, celui-ci a été condamné en tant que délinquant sexuel dangereux à la détention illimité. La Cour suprême a décidé, à la majorité, que la sentence de Klippert était adéquate, ce qui avait incité Trudeau à faire son commentaire sur l’État et les chambres à coucher.

La toute première manifestation de gais et lesbiennes sur la Colline du Parlement en août 1971 s’opposait explicitement aux limitations de la réforme de 1969. À l’époque, la plupart des actes hétérosexuels étaient permis par la loi à 14 ans, ce qui établissait des lois très discriminatoires sur l’âge du consentement.

En outre, puisque de nombreuses personnes LGBTQ2 n’avaient pas accès à des chambres à coucher pour avoir des relations sexuelles, elles devaient souvent, pour mener une vie discrète, se rencontrer hors de la maison. Même si les définitions du public et du privé changent au fil de l’histoire, celle du public adoptée en 1969 incluait les bars, les saunas, les salles de bain et les parcs.

La police s’est donc mobilisée contre les espaces d’actes sexuels « indécents » hors de la maison, incluant les saunas. Apparemment, les relations homosexuelles menaçaient la décence publique si elles avaient lieu derrière les portes closes d’un établissement commercial privé. De 1968 à 2004, plus de 1 300 hommes ont été arrêtés dans des raids menés contre de tels établissements.

L’article sur les « actes d’indécence » de la loi sur les maisons de débauche a été utilisé dans un raid contre le Club Baths à Ottawa dans le cadre de la campagne de « nettoyage » qui a précédé les Olympiques de 1976 à Montréal. Ce raid a mené à l’arrestation de 27 hommes en vertu de la loi sur les maisons de débauche et deux d’entre eux ont été accusés de grossière indécence pour avoir eu des activités sexuelles consensuelles derrière les portes d’un cubicule — la police soutenait que le lieu était « public ». Comme à Montréal et Toronto, les policiers ont refusé d’utiliser le passe-partout et sont entrés dans les pièces en défonçant les portes.

Aussi à Ottawa, en 1975, 18 hommes ont été accusés d’infractions diverses pour des rencontres sexuelles consensuelles avec d’autres hommes de 16 à 21 ans. Ces accusations étaient basées sur l’âge de consentement plus élevé établi dans la réforme de 1969.

La police a fourni le nom et l’identité des personnes accusées aux médias, qui ont ensuite publié l’information. L’un des hommes accusés et exposés était Warren Zufelt, un fonctionnaire de 34 ans. Après sa première comparution en cour pour une accusation de grossière indécence, Zufelt est monté au 13e étage de son immeuble résidentiel et s’est jeté dans le vide.

Les gais d’Ottawa ont organisé des rassemblements pour protester contre la mort de Zufelt, la persécution des gais par la police, les reportages biaisés dans les médias et la publication des noms des hommes accusés, ainsi que pour exiger un âge de consentement uniforme pour tous les rapports sexuels.

Ainsi, ne serait-ce que par les exemples d’Ottawa, nous pouvons constater que les limitations de la réforme de 1969 ont eu des effets dévastateurs. À l’époque, les personnes LGBTQ2 n’ont pas accueilli ces changements avec joie — et nous ne devrions pas les célébrer aujourd’hui.  

Le mythe de la décriminalisation de l’homosexualité s’applique aussi à d’autres réformes de 1969. Une exception de la criminalisation a été établie pour les avortements, pourvu qu’ils soient effectués à l’hôpital avec l’approbation d’un comité de l’avortement thérapeutique formé d’au moins trois médecins. Ceux-ci ne pouvaient approuver les avortements que selon les critères étroits d’une grossesse qui mettrait « en danger la vie ou la santé de la femme » et de nombreux hôpitaux n’avaient même pas de comités.

Comme l’homosexualité, la réforme promise ne correspondait pas aux changements législatifs. L’année suivante, des militantes féministes ont créé la Caravane de l’avortement pour protester contre ces limitations et ont organisé une manifestation qui a forcé la fermeture de la Chambre des communes.

Ces changements légaux s’inscrivaient dans la « société juste » de Pierre Elliott Trudeau, une large série de propositions qui visaient à redéfinir les relations entre le gouvernement et les citoyens du Canada. Ils comprenaient entre autres le Livre blanc de 1969, qui prônait la destruction de la souveraineté autochtone et les droits des traités sous prétexte d’accorder aux peuples autochtones « tous les droits inhérents à la citoyenneté » et une « véritable égalité des chances ». Non seulement les réformes de 1969 ont-elles permis des arrestations de masse aux saunas gais et des restrictions à l’accès aux services d’avortement, elles étaient aussi associées à un projet de colonialisme plus large. Pas de quoi célébrer.

Nous faisons partie d’un groupe de militants et d’universitaires qui contestent les mythes de 1969. Nous organisons, les 23 et 24 mars, un forum intitulé Anti-69 à l’Université Carleton qui comprend des plénières, des exposés, des visionnements vidéo, des présentations de livres et bien d’autres activités.