Caroline Ishii | Employée du SCFP
Sarah Ryan | Employée du SCFP
Aline Patcheva | Employée du SCFP
Près de trois millions de personnes au Canada ne font pas remplir leurs ordonnances parce qu’elles n’en ont pas les moyens.
Le SCFP reconnaît que c’est inacceptable. Notre assurance médicaments ne devrait pas dépendre de notre emploi, de nos heures de travail ou de notre employeur. Elle devrait être un droit universel dans le cadre de notre système de santé public.
Un régime d’assurance privé peut exclure les personnes travaillant à temps partiel et à faible salaire, qui sont plus susceptibles d’être noires, autochtones ou racisées, perpétuant ainsi les inégalités. Et même les personnes qui ont une assurance au travail peuvent devoir s’acquitter d’une franchise ou d’une coassurance assez élevée qui rendent leurs médicaments inabordables.
Le régime universel d’assurance médicaments que le SCFP réclame depuis longtemps permettrait à tout le monde de se procurer les médicaments dont ils ont besoin pour rester en santé.
Le 12 septembre 2022, le SCFP organisait un webinaire national intitulé « Assurance médicaments universelle : des profits ou des soins plus justes ? ». C’était une occasion pour les membres et leurs allié(e)s d’en apprendre plus sur la nécessité d’avoir un régime public accessible et équitable. Les participant(e)s ont pu entendre Elizabeth Kwan, chercheuse principale au Congrès du travail du Canada (CTC) ; Colleen Fuller, chercheuse, écrivaine, militante et présidente du Centre de santé communautaire REACH à Vancouver ; Frédéric Brisson, vice-président régional du SCFP pour le Québec ; et Don Davies, député de Vancouver–Kingsway et porte-parole du NPD en matière de santé.
Pourquoi se soucier de l’assurance médicaments ?
Selon Elizabeth Kwan, la couverture publique actuelle des médicaments sur ordonnance est très inégale à travers le pays. Elle dépend de l’endroit où l’on vit, du lieu de travail et du revenu, plutôt que de dépendre des besoins de chacun. Cela donne un système injuste et inéquitable.
« Cette couverture inadéquate des médicaments affecte tout le monde, dans toutes les provinces, à tous les niveaux de revenu », a-t-elle expliqué. « Mais c’est pire pour les familles à revenu faible à moyen, les jeunes, les femmes, les nouveaux arrivants et les personnes racisées. Avec l’assurance privée, “on a ce pour quoi on paie”. Grâce à l’assurance médicaments publique universelle, tout le monde bénéficiera d’une couverture accessible, abordable et équitable. »
Le Canada est le seul pays développé au monde dont l’assurance maladie universelle n’inclut pas une couverture universelle pour les médicaments.
Elizabeth Kwan a rappelé que le Canada est quatrième au classement des pays qui paient les prix les plus élevés pour les médicaments, ce qui a de graves conséquences pour la population :
- 1 ménage sur 4 n’a pas les moyens d’acheter ses médicaments sur ordonnance ;
- 7,5 millions de Canadien(ne)s n’ont pas les moyens d’acheter des médicaments parce qu’ils ne sont pas assurés ou que leur assurance ne couvre pas leurs médicaments ;
- 1 million de personnes réduisent leur consommation de nourriture et de chauffage pour payer leurs médicaments.
Les arguments en faveur d’un régime universel d’assurance médicaments sont clairs et bénéficient d’un large soutien. Depuis les années 1960, cinq commissions nationales ont recommandé l’inclusion des médicaments sur ordonnance dans le système de santé universel du Canada. Dans un sondage de 2020, 9 personnes sur 10 appuyaient l’idée d’un régime national d’assurance médicaments.
L’importance des politiques publiques de recherche, de développement et de production de médicaments et vaccins
Comme Elizabeth Kwan, Colleen Fuller estime que la solution nécessite des investissements publics dans la recherche, le développement, la fabrication et la distribution publiques de médicaments et de vaccins.
Elle a donné en exemple le rôle essentiel qu’ont joué les laboratoires Connaught de l’Université de Toronto dans les efforts de santé publique canadiens pour rendre un vaccin contre la diphtérie disponible et abordable pour tout le monde. À la fin du 19e siècle, la diphtérie représentait une menace mortelle pour la population. Il s’agissait de la première cause de décès chez les enfants de moins de 14 ans.
On a ouvert les laboratoires Connaught en 1914 pour produire un vaccin contre la diphtérie et d’autres produits de santé publique essentiels, notamment des vaccins contre la rage et la variole. Ils ont produit le vaccin contre la diphtérie à titre de service public pour une distribution gratuite par le biais de programmes provinciaux d’immunisation sanitaire, jetant ainsi les bases de nos programmes d’immunisation en santé publique. En 1940, Toronto et Hamilton sont devenues les premières villes au monde exemptes de diphtérie.
De son côté, le gouvernement canadien a économisé de l’argent parce que le vaccin était fabriqué par une compagnie pharmaceutique publique à de faibles coûts de production, sans être obligé de l’acheter sur le marché international concurrentiel. Et les ventes mondiales ultérieures ont contribué à compenser les coûts.
En 1921, le docteur Frederick Banting, un chirurgien canadien, et Charles Best, un étudiant en médecine, ont aussi découvert l’insuline aux laboratoires Connaught. Grâce à cette découverte, le Canada a contribué au monde de la médecine en autorisant des fabricants du monde entier à produire de l’insuline et en utilisant les redevances pour financer la recherche scientifique au Canada.
Colleen Fuller déplore que les conservateurs aient privatisé les laboratoires Connaught en 1984. À l’époque, on importait seulement 20 % des médicaments et des vaccins utilisés par la population canadienne ; aujourd’hui, cela représente 85 %. « Nous payons un prix très élevé pour l’absence d’une infrastructure qui permettrait à cet investissement public que nous faisons déjà de profiter à la population canadienne », a-t-elle dit. « En ce moment, nous payons deux fois pour les médicaments que nous utilisons : une fois à l’étape du développement et une fois à la caisse enregistreuse. »
Elle recommande que nous utilisions nos investissements publics pour la recherche publique ici, au Canada, ainsi que pour la fabrication et la distribution. « À cause de l’horrible expérience avec le vaccin contre la COVID-19 et des difficultés de l’obtenir, les discussions entourant la création d’un fabricant public sont revenues sur la table », a-t-elle précisé.
Où en sommes-nous avec l’assurance médicaments ?
Elizabeth Kwan a souligné que nous vivons une période de volatilité sociale et économique sans précédent, au Canada comme dans le monde. La baisse des salaires et la montée en flèche du taux d’inflation font de l’abordabilité la solution numéro un pour garder nos familles en santé.
Elle a décrit à quel point l’état actuel de notre système de santé public résulte de nombreuses années de sous-financement gouvernemental et de pénurie de personnel, et de l’inaction des provinces et territoires.
« Les problèmes d’inflation et d’abordabilité nous empêchent de dormir la nuit, car nous voulons protéger notre santé et celle de notre famille », a dit Elizabeth Kwan.
« Le ralentissement de l’économie entraînera des pertes d’emplois, les gens perdront leur assurance médicaments privée et les salaires continueront de prendre du retard sur l’inflation. Ce n’est pas un bon scénario », a ajouté Elizabeth Kwan, chercheuse principale au CTC.
Le porte-parole du NPD en matière de santé, Don Davies, est d’accord. Il a expliqué que le Canada a été en mesure de créer des programmes sociaux substantiels sous deux gouvernements libéraux minoritaires consécutifs. « Nous sommes à un moment unique dans l’histoire pour nous battre afin d’obtenir un régime d’assurance médicaments universel avec le NPD qui mène la charge », a-t-il dit en se référant à l’entente de soutien et de confiance signée avec le gouvernement libéral en mars 2022.
Et même si le projet de loi sur l’assurance médicaments universelle présenté par le NPD a été rejeté en février 2021, le NPD continue de miser sur toute son influence sur le gouvernement minoritaire pour défendre le système de santé canadien. Le nouvel accord exige l’adoption d’une loi sur l’assurance médicaments d’ici la fin de 2023, la création d’un formulaire national des médicaments essentiels et un programme d’achat en gros d’ici juin 2025. Ces mesures ouvriront la voie à la fourniture de médicaments abordables pour tout le monde.
Des profits ou des soins plus justes ?
Les spécialistes ajoutent une mise en garde : n’importe quel système d’assurance médicaments ne fera pas l’affaire. Un régime qui ne fait que combler les lacunes ou un régime hybride comme celui du Québec maintiendrait le coût des médicaments inabordable pour plusieurs personnes. En effet, en conservant la mosaïque actuelle d’assurances privées et publiques, on protège les profits exorbitants des compagnies d’assurance et des grandes entreprises pharmaceutiques.
Un régime hybride consoliderait aussi la mosaïque déroutante d’une centaine de programmes d’assurance médicaments gérés par l’État et des quelque 100 000 régimes privés d’assurance médicaments.
Frédéric Brisson est très sensible à ces enjeux, lui qui a œuvré dans le système de santé québécois pendant plus de 15 ans. Entre 2017 et 2021, il a négocié le régime d’assurances collectives de près de 40 000 travailleuses et travailleurs de la santé à titre de président du Conseil provincial des affaires sociales du SCFP-Québec. Selon lui, le modèle hybride québécois ne fonctionne pas, notamment parce qu’il ne tient pas compte de la capacité de payer de chacun.
Durant le webinaire, il a proposé l’exemple d’une éducatrice à la petite enfance : « La grande majorité fait moins de 20 heures par semaine et un salaire horaire qui se situe entre 22 et 26 dollars, ce qui représente environ 1450 dollars par mois clair dans leurs poches. Une prime d’assurance familiale pour une personne monoparentale peut coûter 280 dollars par mois. Il lui reste environ 1200 dollars dans ses poches pour payer son loyer, son essence, sa nourriture, le 20 % des médicaments qu’on doit payer directement à la pharmacie… il n’en reste pas beaucoup », a-t-il déploré.
Avec le régime hybride actuel, le coût des médicaments au Québec est parmi les plus élevés au monde.
Dans un récent sondage du SCFP, 77 % de la population québécoise a dit souhaiter que le gouvernement du Québec collabore avec le gouvernement canadien sur un régime universel d’assurance médicaments, et 80 % croient qu’un tel régime améliorerait la santé de tout le monde. De plus, 43 % des personnes interrogées affirment que l’achat de médicaments a un impact sur le budget de leur ménage. Pour toutes ces raisons, les travailleuses et travailleurs se mobilisent en faveur d’un régime d’assurance médicaments qui fait passer les gens avant les profits.
Pendant ce temps, les tenants de la droite et les lobbyistes corporatifs se mobilisent contre la création d’un régime d’assurance médicaments réellement universel. Les géants pharmaceutiques et les compagnies d’assurance se mobilisent pour protéger leurs profits.
Comment riposter ?
Le mouvement syndical canadien travaille depuis quelques années avec ses allié(e)s sur une campagne nationale pour l’assurance médicaments. Elizabeth Kwan exhorte les membres et militant(e)s du SCFP à garder l’élan et envoyer un message à leur député(e) pour réclamer son soutien à un régime universel pour les médicaments d’ordonnance.
Pour Colleen Fuller et Frédéric Brisson aussi, la mobilisation sur cette question est essentielle. Les syndicats jouent un rôle énorme dans la discussion, tout comme les coalitions nationales et provinciales de la santé. Colleen Fuller ajoute que nous devons encourager les organisations, telles que les centres de santé communautaires, et les travailleuses et travailleurs pigistes, à s’exprimer, et nous devons amplifier leurs voix.
Nous devons unir nos forces dans la solidarité et agir comme une grande famille pour résister à l’avarice des grandes entreprises et protéger ce qui est en jeu : la sécurité et le bien-être de nos proches et de nos communautés. Ensemble, nous sommes plus forts que jamais, et le moment est venu de riposter.
Apprenez de nos spécialistes, regardez la rediffusion du webinaire, sur la chaîne YouTube du SCFP.