Jesse Mintz | Employé du SCFP
Ken Marciniec |
Employé du SCFP 

Dans le secteur de l’éducation en Ontario, 55 000 travailleuses et travailleurs sont actuellement en négociation centrale de leur nouvelle convention collective. C’est dans ce contexte que Laura Walton ne peut s’empêcher de penser à son père qui était directeur d’école. À la terrible époque du premier ministre Mike Harris, il est sorti piqueter avec son personnel en signe de solidarité.

« Ils se sont battus si fort », dit Laura Walton. « Je ne nous laisserai pas revenir à cette époque où les gouvernements démantelaient notre système, coupant, rognant petit à petit.  »

Les aides-éducatrices et aides-éducateurs, les éducateurs et éducatrices de la petite enfance, les concierges, le personnel d’entretien, les secrétaires, les professeur(e)s de musique et de langues — tous membres du Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCSO-SCFP) — se battent pour améliorer les conditions de travail et d’apprentissage dans les écoles ontariennes. Leurs propositions sont raisonnables, nécessaires et abordables ; elles garantiraient des gains réels, autant pour le personnel que pour les élèves.

Laura Walton est fin prête pour ce combat. Aide-éducatrice et présidente du CSCSO, elle nous parle de ce qui l’a attirée vers le mouvement syndical, de l’impact d’une décennie de coupures dans les salaires et de l’avenir du secteur pour les jeunes travailleurs et travailleuses.

Question 1

Pourquoi êtes-vous devenue aide-éducatrice ?

Pour moi, l’éducation, c’est une affaire de famille. Ma grand-mère était secrétaire d’école. Mon père était directeur d’école. Ma belle-mère et mon oncle étaient enseignants. Je savais que je voulais travailler en milieu scolaire, mais au moment de faire mon choix, dans les années 90, il y avait trop d’enseignant(e)s pour les postes disponibles. J’ai donc fait d’autres boulots pour payer mes études universitaires et, pendant que j’étais enceinte de ma fille, j’ai suivi une formation d’aide-éducatrice.

J’ai toujours su que je voulais travailler auprès des enfants. Et j’ai adoré ça, vraiment. J’ai travaillé avec des adolescents ayant de graves troubles de comportement, dont plusieurs qui essayaient de retourner à l’école après un passage dans le système judiciaire. C’était gratifiant. Mais j’avais aussi d’autres boulots juste pour arriver à joindre les deux bouts. C’est à cette époque que j’ai assisté à ma première assemblée syndicale.

Question 2

Que signifie d’avoir un emploi durable dans le milieu de l’éducation ?

C’est le rêve de tout le monde, alors que ça devrait être la réalité de tout le monde. Nous vivons dans l’incertitude. Au cours des premières années à l’emploi du secteur de l’éducation, il est courant de passer d’une école à l’autre. Les enseignant(e)s peuvent passer toute leur carrière dans la même école, peuvent s’enraciner. Mais les aides-éducatrices et aides-éducateurs, les éducateurs et éducatrices de la petite enfance, les concierges, les secrétaires, chaque été, nous sommes confrontés à la question si on nous changera d’école à l’automne. Ce niveau d’incertitude pèse.

Il y a aussi la question du salaire et de l’inflation. Comment peut-on, avec ce salaire, subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, payer un loyer ou un prêt hypothécaire, l’épicerie et l’essence, sans parler des activités parascolaires de ses propres enfants ?

Plus de la moitié de nos membres ont un deuxième emploi. Ils travaillent au service de garde au YMCA avant ou après l’école. Ils donnent des cours privés. Ils travaillent dans la restauration. Ils s’efforcent à trouver suffisamment d’autres heures pour compléter le salaire d’un travail qu’ils adorent, un travail qui donne du sens à leur vie, mais qui n’est tout simplement pas assez payant.

Pendant mes quatre premières années en tant qu’aide-éducatrice, j’ai travaillé chez Sears pour avoir des avantages sociaux. Je travaillais jusqu’à 21 heures tous les soirs ; j’avais à peine le temps de voir mes propres enfants. Ce n’est pas une situation durable à la longue.

Question 3

Quel est l’impact sur les jeunes travailleurs et travailleuses ? Et quel rôle jouent les conseils scolaires dans la crise de rétention et de recrutement de personnel ?

Ce côté intenable, c’est la raison pour laquelle beaucoup de gens ne tiennent pas le coup. Ils aiment leur travail, comme moi, comme tant d’autres, mais ils abandonnent la profession. Pourquoi resteraient-ils ?

Les gouvernements et les employeurs ont dévalorisé ce travail principalement effectué par des femmes. Mais ces femmes connaissent leur propre valeur. Elles savent qu’elles valent plus qu’un salaire de misère. Elles se disent que, tant qu’à devoir travailler à contrat, aussi bien le faire selon leurs propres conditions plutôt que celles du conseil scolaire.

On ne peut espérer de garder les jeunes dans ces emplois si ce ne sont pas des carrières qui les rendent fiers, des carrières avec lesquelles ils peuvent nourrir leur famille.

Soulignons aussi que les conseils scolaires n’ont pas su réagir à temps à une réalité changeante. Ils sont habitués à tirer au sort, à ce que les candidat(e)s fassent la queue pour obtenir un emploi. Ils ne croyaient jamais voir ce bassin se tarir un jour.

Pourtant, nous leur disions depuis des années que ces emplois sont intenables à long terme. Mais ce n’est que maintenant qu’ils prennent conscience du problème de rétention et de recrutement de personnel. Il n’y a plus assez de gens intéressés à postuler ou à rester dans ces postes. Pendant ce temps, nous faisons le gros du travail en réclamant plus d’argent au gouvernement pour rendre ces emplois plus durables.

Question 4

Le manque de personnel est un autre enjeu majeur dans les négociations. Comment le manque de personnel affecte-t-il les services que vous fournissez aux élèves ?

C’est un des problèmes dont on ne parle pas assez. À cause de la pandémie, on a commencé à valoriser le travail des concierges et du personnel d’entretien, ces gens qui gardent les écoles propres et sûres. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Certaines écoles n’ont plus qu’une secrétaire alors qu’elles en avaient quatre. La charge de travail n’a pas changé. Au contraire, elle augmente. Et il n’y a qu’une seule personne pour tout faire.

Durant ma dernière année en classe, j’avais une alarme qui sonnait toutes les 15 minutes. C’est le temps que je pouvais consacrer à chaque élève. Et il s’agissait d’élèves qui avaient besoin de bien plus d’aide individuelle que quelques minutes. Mais c’était le mieux que je pouvais faire. Je devais courir d’un local à l’autre dans toute l’aile primaire.

Certains parents étaient frustrés que leur enfant ne progresse pas suffisamment à leur goût. Et je les comprenais, ça me frustrait autant qu’eux. Nous n’avions pas le temps de faire du bon travail ; nous savions que cela aurait des conséquences. Et cela n’a fait qu’empirer depuis.

Question 5

Que pensez-vous des valeurs qu’expriment les propositions du gouvernement de Doug Ford ?

Ses valeurs n’incluent pas l’école. Le gouvernement n’est pas du côté du personnel de l’éducation et certainement pas du côté des élèves. Il veut pelleter la lourde charge de l’éducation dans la cour des parents, en leur donnant une petite allocation pour trouver un tuteur ou une tutrice.

C’est un gouvernement qui a renoncé à sa responsabilité de fournir une éducation financée et dispensée par l’État. Il va obliger les parents à trouver une éducation à leur enfant comme on trouve un jouet sur Amazon. Ce n’est pas durable à long terme. C’est mauvais pour les élèves. Et c’est injuste pour le personnel. Une bonne éducation, ça ne vient pas au rabais, et une éducation au rabais n’est pas une bonne éducation.

Question 6

Pourquoi est-ce important, pour vous et vos collègues, de vous battre pour des emplois plus durables à la table de négociation ?

Parce que nous attendons notre tour depuis trop longtemps. Et nous le devons non seulement à nous-mêmes et aux futurs travailleurs et travailleuses de l’éducation, mais aussi aux élèves et aux parents qui comptent sur nous.

Depuis trop longtemps, les travailleuses et travailleurs espèrent que quelqu’un d’autre se battra pour eux. Ils pensaient pouvoir compter sur les tribunaux, ou le système politique, ou encore sur le comité qu’ils élisent pour négocier leur convention collective. Rien dans mes 20 ans d’expérience ne m’a prouvé que l’un de ces mécanismes peut fonctionner sans qu’on s’implique soi-même dans cette lutte. Personne ne pourra nous sauver si nous ne nous battons pas tous ensemble.