Kelti Cameron | Employée du SCFP

Art de rue à Bogotá, en Colombie, du nouveau président Gustavo Petro et de la nouvelle vice-présidente Francia Márquez, juillet 2022.

En 2022, pour la première fois en 214 ans d’histoire, la Colombie a élu un gouvernement progressiste de gauche. L’élection de Gustavo Petro à la présidence et de Francia Márquez à la vice-présidence est historique. C’est un moment d’espoir pour la classe ouvrière, la classe militante, les personnes marginalisées et celles vivant dans la pauvreté.

Leur coalition, le Pacte historique, est un front commun de partis progressistes et de mouvements sociaux représentant les syndicats, les jeunes, les femmes et les minorités ethniques. Sa fondation le 11 février 2021 a eu lieu après plusieurs années d’organisation et de coordination menée par des mouvements et des communautés qui ont enduré des décennies de violence et de pauvreté. 

Petro et Márquez se sont engagés à mettre de l’avant un programme politique qui promet l’élargissement de l’éducation et des services éducatifs à la petite enfance publics gratuits, la création d’emplois, des régimes de retraite publics, la protection de l’environnement et de l’eau, des réformes agricoles et la souveraineté alimentaire. Plusieurs sont optimistes quant à l’abandon de la dépendance au pétrole et au gaz, ainsi qu’à l’arrêt des projets d’expansion actuels et futurs des combustibles fossiles. Dans un pays qui a principalement servi les intérêts d’investisseurs étrangers et des partisans du néolibéralisme, ce programme est considéré par certains comme une tournure radicale des événements. Sa mise en œuvre sera difficile et ne manquera pas de susciter beaucoup d’inquiétude de la part des grands investisseurs canadiens.

Márquez est également la première femme afro-colombienne à occuper la vice-présidence. Cette militante écologiste aux racines ouvrières a longtemps combattu pour les droits fonciers ancestraux de sa communauté, dans la région de Cauca, en Colombie, et a été membre du mouvement de la résistance contre l’exploitation et l’extraction de l’or dès son adolescence. Elle a choisi de se présenter à cette élection « parce que nos gouvernements ont tourné le dos au peuple, à la justice et à la paix ». Sa victoire est une source d’inspiration pour de nombreux jeunes de sa communauté.

L’histoire en devenir

Des leaders syndicaux canadiens se sont rendus en Colombie pour démontrer leur solidarité avec les travailleuses, travailleurs et militant(e)s pour les droits de la personne colombiens, tels que le Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes de Colombie (STPC) à Bogotá, juillet 2022.

La victoire de Petro et de Márquez s’inscrit dans un vent de changement politique qui souffle à travers l’Amérique du Sud et L’Amérique centrale, où des gouvernements de gauche ont été élus sur des plateformes qui contestent, directement ou indirectement, l’emprise de la politique étrangère américaine et les pratiques qui nuisent à la classe ouvrière et aux peuples de leurs pays.

En Colombie, ces dernières années ont été marquées par des mobilisations massives et des répressions violentes. Par exemple, en avril 2021, un projet de réforme fiscale a déclenché une grève nationale (Paro National) qui a duré plus de quatre mois. Le projet de loi imposait, entre autres, une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les biens et services de base. La réponse est venue rapidement de tous les secteurs de la société aux prises avec la hausse du prix des aliments et les répercussions de la pandémie de COVID-19. 

Les jeunes de moins de 24 ans ont été les plus durement touchés par la crise économique : le quart d’entre eux sont au chômage, quel que soit leur niveau de scolarité. Par conséquent, les manifestations de 2021 ont embrasé encore plus la mobilisation des jeunes qui ont non seulement contesté les politiques gouvernementales régressives, mais ont également confronté la violente répression d’État qui a suivi.

Entre avril et juin 2021, les forces de l’État, la police et les troupes antiémeute ont commis de graves violations des droits humains. Des dizaines de personnes ont été tuées par balles, des centaines ont été blessées.

Mais le Pacte historique a gagné en popularité à mesure que les protestations se répandaient dans l’ensemble du pays. De nombreuses organisations membres de la coalition ont démontré qu’elles détiennent la confiance des gens qui militaient dans les rues et la capacité d’atteindre les communautés les plus isolées et marginalisées du pays. C’est ce qui lui a assuré la victoire aux élections nationales de 2022. 

L’espoir d’une vague de changement colombienne

La Délégation de première ligne s’est rassemblée autour du monument du Point de résistance à Cali, Colombie, juillet 2022.

Les militant(e)s de la gauche vivent une période passionnante, mais vulnérable. Ils sont très conscients que cette phase de transition sera truffée de défis politiques et de contradictions.

Plus de 500 militant(e)s des droits de la personne ont été tués en Colombie depuis 2016, un des chiffres les plus élevés au monde. Selon l’Indice des droits mondiaux 2022 de la Confédération syndicale internationale, la Colombie est toujours l’un des 10 pays les plus dangereux au monde pour les syndicalistes. Tous et toutes savent que ces conditions ne changeront pas du jour au lendemain ou simplement en élisant un nouveau gouvernement.

En juillet 2022, le SCFP s’est joint à la Délégation syndicale de première ligne en Colombie avec des leaders syndicaux du CTC, de l’AFPC, du SNEGSP et du STTP pour recueillir des témoignages sur l’importance de l’élection du Pacte historique et pour en savoir plus sur la violence qui l’a précédée en 2021. Nous sommes arrivés sur place au moment où la Commission de la vérité créée en 2018 présentait son rapport final, faisant la lumière sur cinq décennies d’atrocités et de violations des droits de la personne commises pendant les conflits armés au pays.

Les 10 chapitres du rapport abordent des thèmes comme les violations des droits humains et la violence sexuelle, l’impact de celles-ci sur la santé mentale et physique, le rôle des groupes armés et l’exil forcé de milliers de gens. Toutes les personnes à qui nous avons parlé étaient prudemment optimistes quant au fait que le nouveau gouvernement puisse maintenant commencer à réparer les torts causés par les gouvernements de droite du passé, considérant que plusieurs conservateurs détiennent toujours des fonctions importantes au cabinet, et à laisser les mouvements sociaux poursuivre la mobilisation pour plus de justice.

Dans la maison des familles du quartier Siloé de Cali (également connu sous le nom de Comuna 20), juillet 2022. Des proches continuent à réclamer justice après le meurtre de Michael Andres Aranda Perez, 24 ans, lors de la grève nationale en 2021.

Néanmoins, les appels à la justice des familles qui ont perdu des êtres chers à cause de la brutalité policière de 2021 demeurent prioritaires pour plusieurs leaders locaux et constituent un rappel dévastateur de l’énorme tâche qui attend le nouveau gouvernement. Quelqu’un qui a perdu son fils a confié à la délégation : « Nous ne voulons pas marcher vers la justice en empruntant le chemin de l’impunité. »

À travers le pays, des communautés se rassemblent et s’unissent autour de revendications qu’elles souhaitent voir traitées par le nouveau gouvernement de Petro et Márquez. Le mouvement syndical a préparé un programme de réforme du travail intitulé Du changement pour la vie (Cambio por la vida) qui met de l’avant des emplois décents, l’équité du travail, l’amélioration des conditions de travail et le respect des normes internationales du travail, y compris la liberté d’association et la négociation collective.

Petro et Márquez sont également confrontés à des défis majeurs, soit un congrès fragmenté et le fait de devoir travailler aux côtés de l’élite corporative. Mais le nouveau président s’est engagé à gouverner avec le peuple et à le consulter en permanence dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques gouvernementales, sans exception ni exclusion.

Lors d’une réunion avec des chefs religieux à Cali, on a dit à la délégation que « seul le peuple sauve le peuple. Pour progresser en tant que pays et renforcer nos organisations politiques et la société civile, nous devons continuer à nous unir en tant que force populaire. Les nouveaux dirigeants nationaux devront s’unir à nous, car nous avons déjà un programme politique qu’ils peuvent suivre. »

Pour en savoir plus, consultez l’album photo de la délégation sur la page Facebook du SCFP.


Depuis près de 20 ans, la Délégation syndicale de première ligne organise des échanges de solidarité entre travailleuses et travailleurs avec des syndicats, des mouvements sociaux et des organisations de défense des droits de la personne du Canada et de la Colombie pour soutenir le processus de paix, exposer les impacts négatifs des investissements et des politiques économiques néfastes, et renforcer la solidarité mutuelle entre les travailleuses et travailleurs du secteur public. En tant que membres de la communauté internationale et en tant que syndicats luttant dans nos pays respectifs, nous avons une contribution importante à apporter à cette lutte mondiale. Nous poursuivrons ce travail et serons solidaires avec les travailleurs et travailleuses, les militant(e)s des droits de la personne et des droits fonciers, et les leaders des mouvements sociaux dans leur quête de paix et de justice.