Texte collectif* - Coalition Trainsparence: Luc Gagnon, Denis Bolduc, Lisa Mintz, John Symon, Shaen Johnston, Mathieu Vick, Alex Turcotte, Maxime Arnoldi et Laurent Howe | 

Cette chronique provient du Devoir, édition du 5 juin 2017.

Au début de l’été dernier, la Caisse de dépôt Infra présentait son projet de Réseau électrique métropolitain (REM), dont la conception avait été réalisée dans le plus grand secret. Dans le but d’accélérer le projet, le gouvernement a ensuite modifié plusieurs de ses traditions démocratiques : évaluation environnementale incomplète ; audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) écourtées en plein été ; non-respect des recommandations de cet organisme ; autorisation du projet alors qu’aucune justification économique n’est présentée publiquement. En contraste, aucun projet d’Hydro-Québec ne pourrait être autorisé, sans une telle justification.

Mais pour le gouvernement, tout cela semble insuffisant, puisqu’il présente maintenant le projet de loi 137, dont l’objectif serait d’accélérer davantage la réalisation REM. À cette fin, il enlève le droit aux citoyens de contester les expropriations jugées nécessaires par la Caisse.

On pourrait croire que des mesures exceptionnelles sont acceptables, parce que le REM serait dans l’intérêt public. Il y aurait urgence de développer le transport collectif, de réduire la congestion automobile et d’électrifier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais la réalité est tout autre.

La meilleure évaluation indépendante du projet est celle du BAPE, qui conclut que 90 % des usagers du REM utilisent déjà le transport collectif. Sur les 10 % de nouveaux usagers, 80 % utiliseront encore une automobile pour se rendre à un stationnement du REM. Seulement 2 % des usagers du REM abandonneront donc leur auto. Mais, pire encore, le REM encouragera beaucoup l’étalement urbain, qui augmente l’usage de l’auto. Donc globalement, il n’y aura aucune réduction de la congestion ou des émissions de gaz à effet de serre (GES). En ajoutant les hausses des tarifs causées par le REM, on peut même prévoir une baisse globale de l’usage du transport collectif.

Et toutes les discussions oublient les dépassements de budgets qui sont probables. Pour les grands projets qu’on veut réaliser trop rapidement, un dépassement de 30 % des coûts est fréquent. Pour le REM, cela représente des coûts supplémentaires de presque 2 milliards de dollars, dont le gouvernement du Québec sera responsable. Le REM est contraire à l’intérêt public et il n’y a aucune raison de vouloir l’accélérer.

En fait, le projet de loi 137, qui est actuellement discuté en commission parlementaire, fait beaucoup plus. Voici quelques constats :

Le projet de loi 137 établit une domination totale de la Caisse sur les municipalités.

Il établit aussi un nouveau régime de taxation foncière supplémentaire, en clarifiant que seule la Caisse peut en bénéficier.

Il déclare que la nouvelle Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) ne pourra réaliser une vraie intégration des réseaux, puisque ce sont toutes les autres sociétés de transport qui devront adapter leurs réseaux au REM.

Pourquoi le gouvernement présente-t-il un projet de loi aussi draconien ? Parce qu’il sait que le projet sera extrêmement coûteux pour lui. Il vise donc, dès maintenant, avant des discussions franches sur les tarifs, à s’assurer que plusieurs autres acteurs en paieront une grande partie. Le projet de loi 137 enlève tout pouvoir de contestation aux municipalités qui devront payer une grande portion du projet, sans pouvoir augmenter leurs revenus fonciers. Et l’ARTM sera forcée de financer le REM pour un montant de 510 millions, ce qui l’obligera à hausser les tarifs.

Un bon système de transport collectif, au profit des citoyens, n’aurait pas besoin de toutes ces entorses à la démocratie. Trois citations du maire de Laval en commission parlementaire résument bien la situation :

« Les dispositions de la loi 137 ont préséance sur celles de toute autre loi […] les pouvoirs accordés à la Caisse, dans le cadre du projet de loi, sont supérieurs à ceux dont disposent le gouvernement ou ses ministres […] » ;

« [En lisant les articles de la loi] nous avons constaté l’élimination du pouvoir des municipalités » ;

« L’urgence de réaliser le REM est beaucoup véhiculée, mais jamais expliquée. »

À ces constats, on peut ajouter la perte d’autorité du BAPE et le fait que les expropriés ne pourront plus utiliser les tribunaux pour protéger leurs droits. Le gouvernement Couillard n’hésite donc pas à faire fi des processus démocratiques et même à enfreindre des droits fondamentaux afin de réaliser un mauvais projet. La société québécoise doit s’élever devant autant d’abus.