Selon une nouvelle étude évaluée par les pairs (en anglais seulement), les travailleuses et travailleurs hospitaliers en Ontario, dont la majorité sont des femmes – notamment racisées –, traversent une crise majeure exacerbée par une pénurie d’effectifs qui nuit à leur bien-être et aux soins prodigués.
L’étude Running on Empty, parue dans New Solutions: A Journal of Environmental and Occupational Health Policy, a été coécrite par les docteur(e)s Margaret Keith et James Brophy, qui ont dirigé trois autres études depuis 2017 sur les conditions de travail dans le secteur des soins de santé de l’Ontario. Le Dr Craig Slatin, chercheur américain dans le domaine de la santé, a aussi participé à l’étude.
« Le personnel de la santé nous met en garde quant à l’avenir de notre système public, affirme la Dre Keith. Ces personnes ont exprimé un profond sentiment d’insatisfaction, de désespoir, de tristesse, de colère et de frustration à l’égard de leurs conditions de travail et de la qualité des soins aux patient(e)s. Dans l’ensemble, elles se sentent abandonnées, surmenées et méprisées, une situation qui résulte du sous-financement chronique et du manque de personnel. »
Elle fait remarquer que l’Ontario se classe parmi les dernières provinces au pays en matière de mesures de financement essentielles en santé, et au dernier rang quant aux dépenses hospitalières par habitant, avec 18 % de personnel hospitalier en moins comparativement au reste du Canada.
D’après l’étude, même si les problèmes de dotation existaient avant la pandémie, les conditions de travail se sont détériorées depuis 2020 avec l’augmentation du nombre de patient(e)s et la baisse de personnel. Résultat : les travailleuses et travailleurs sont constamment appelé(e)s à prendre soin d’un plus grand nombre de patient(e)s et à effectuer des heures supplémentaires, ce qui entraîne fatigue et épuisement professionnel.
« Notre téléphone sonne sans arrêt pour nous demander de remplacer un(e) collègue. On peut finir de travailler et recevoir un appel avant même d’avoir mis les pieds dans le stationnement pour savoir si on peut rester. On peut nous appeler de temps en temps, mais ça a lieu littéralement chaque jour », précise un(e) employé(e) sondé(e) pour l’étude.
Avec la pénurie de personnel qui entraîne une fermeture sans précédent des salles d’urgence, une hausse du temps d’attente et une augmentation du ratio infirmière/infirmier-patient(e)s, les travailleuses et travailleurs constatent une baisse marquée de la qualité des soins. Une infirmière ou un infirmier de salle d’opération a déclaré aux chercheurs :
« On voit des gens rester dans leur lit pendant un ou deux jours, parfois trois ou quatre, parce que les salles d’opération sont trop encombrées. Et quand la personne arrive à nous, elle empeste ses propres excréments tellement elle est sale. Soit les draps n’ont pas été changés, soit la personne n’a pas été adéquatement tournée et positionnée. La patiente ou le patient présente des plaies de pression, ce qu’on ne devrait jamais voir dans un hôpital. »
La recherche a été réalisée en collaboration avec le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario du SCFP (CSHO-SCFP), à partir d’entretiens approfondis menés avec 26 travailleuses et travailleurs hospitaliers, notamment du personnel infirmier, des préposé(e)s aux services de soutien à la personne, du personnel d’entretien et du personnel de bureau.
Les conclusions de l’étude qualitative confirment les résultats du récent sondage effectué auprès de 775 membres du CSHO-SCFP : 62 % des personnes interrogées déclaraient être épuisées et très stressées; 41 % disaient redouter d’aller au travail et 44 % mentionnaient avoir du mal à dormir.
« La forte dégradation de leurs conditions de travail nuit à leur bien-être physique et mental. Mais ce qui est particulièrement éprouvant pour ces personnes, c’est qu’elles se sentent abandonnées par le gouvernement et, souvent même, par leur employeur, explique le Dr Brophy. C’est comme si votre maison était en feu et qu’il y avait une foule autour, mais que personne ne venait vous aider. On en vient à ne plus faire confiance au système. »
L’étude est ponctuée de nombreuses citations qui reflètent le sentiment d’impuissance et de désespoir parmi les travailleuses et travailleurs, comme celle d’une infirmière ou d’un infirmier en traumatologie : « Vous pensez que la situation ne peut pas être pire, et ça l’est. Je faisais de plus en plus de crises de panique avant d’aller travailler et je pleurais dans la voiture. J’aimais aller au travail à mes tout débuts. Maintenant, j’y vais à reculons. »
Michael Hurley, co-auteur et président du CSHO-SCFP, précise avoir été « frappé par l’attitude désinvolte du gouvernement à l’égard de la crise du personnel », ajoutant que selon un document divulgué plus tôt cette année, l’Ontario serait confronté à une pénurie (en anglais seulement) de 20 700 infirmières et infirmiers et près de 50 000 préposé(e)s aux services de soutien à la personne d’ici 2027.
« Les répercussions liées au manque de personnel se font sentir chaque jour par les patient(e)s et leur famille. Ces problèmes ne feront que s’aggraver si rien n’est fait, souligne Michael Hurley. On pensait que le gouvernement serait sur un pied de guerre et prendrait des mesures audacieuses pour améliorer le recrutement et la rétention du personnel; qu’il adopterait un ratio infirmière/infirmier-patient(e)s pour remonter le moral des membres du personnel infirmier et renforcer leur conviction à prodiguer des soins de qualité; qu’il veillerait à ce que les salaires suivent l’inflation, plutôt que de les couper; et qu’il proposerait la gratuité scolaire, des formations rémunérées et l’élargissement des programmes de formation en soins infirmiers et paramédicaux. »
Mais l’Ontario continue plutôt à « subir des compressions budgétaires en dollars réels qui asphyxient le système de santé et incitent des milliers d’employé(e)s à partir en désespoir de cause ».
« La province a apporté quelques changements mineurs, mais rien qui réponde à la gravité de la crise. L’année dernière, on a fermé pas moins de 870 salles d’urgence, et on ne peut pas permettre que ça devienne la norme, conclut-il. Le gouvernement doit agir maintenant. »