Simon Ouellette | Employé du SCFP

En novembre 2021, plus de 22 000 membres du SCFP ont participé à la plus grande grève générale légale de l’histoire du Nouveau-Brunswick. La province entière en a ressenti les impacts. Et on ne saurait passer sous silence le rôle crucial joué par les femmes dans la grève.

Un petit tour sur les piquets de grève ou dans n’importe quel quartier général régional de grève suffisait pour constater l’implication de nombreuses femmes à toutes les étapes de cette action syndicale victorieuse.

Cela n’a rien de surprenant, puisque les femmes constituent les deux tiers de la main-d’œuvre du secteur public du Nouveau-Brunswick. Cette réalité se reflète au sein de la direction du SCFP, à la table de négociation au Nouveau-Brunswick et plus encore dans des secteurs comme la santé, le développement social et l’éducation, où les femmes sont plus nombreuses que les hommes.

Selon les données les plus récentes du SCFP, plus de 64 pour cent des membres s’identifient comme femme. Or, pour comprendre ce qui donne au SCFP son avantage et ce qui nous distingue de nombreuses autres organisations à prédominance féminine, il faut comprendre comment le féminisme ouvrier fonctionne.

Éduquer et agiter

Vue de l’extérieur, une grève provinciale pourrait sembler comme quelque chose de spontané ou planifié depuis quelques mois seulement. La vérité est toute autre : la préparation de la grève du Nouveau-Brunswick aura demandé plus de trois ans et demi de travail acharné.

En mars 2018, le SCFP-N.-B. a organisé une grande conférence des membres intitulée Ensemble, négocions vers l’avant. La conférence, suivie d’une tournée provinciale, a identifié une demande claire des membres : concentrons-nous sur les salaires, les salaires et encore les salaires.

Pendant plus de dix ans, des compressions et des augmentations salariales inférieures à l’inflation s’étaient succédées, causant des retards salariaux. Selon Statistique Canada, le Nouveau-Brunswick avait le secteur public le moins bien rémunéré au pays. Et cette situation brimait les femmes de manière disproportionnée.

La présidente du SCFP 908, Ellie Michel, a déclaré que ses membres réclamaient une augmentation de salaire décente, puisque les maigres cinq pour cent offerts par le gouvernement ne suffisaient même pas pour acheter un litre de lait et une miche de pain pour la semaine.

Les syndicats devaient donc concentrer leurs efforts sur l’obtention d’augmentations salariales supérieures à l’inflation. Et cela exigerait une action de masse coordonnée et une vaste grève provinciale si nécessaire.

« On ne devrait pas avoir à se demander si on doit acheter ses médicaments, payer le loyer, faire l’épicerie ou payer la facture d’électricité. Nous, Néo-Brunswickoises, travaillons tous les jours. Nous ne devrions pas avoir à faire ce genre de choix », a déclaré Ellie Michel, présidente du SCFP 908.

Les années suivant cette conférence ont été essentielles pour renforcer le pouvoir et la détermination des membres et des dirigeant(e)s à se battre. Malgré les élections provinciales et une pandémie mondiale, le SCFP a su garder le dessus des communications avec ses membres et le grand public. Ils sont restés concentrés sur leur message clé, à savoir que le coût de la vie ne cesse d’augmenter tandis que les salaires stagnent. Le leadership du SCFP sur cette question en a fait le champion des personnes surmenées et en sous-effectif du Nouveau-Brunswick, dont la majorité du personnel des services essentiels et principalement des femmes. Tout au long de la campagne, cela a permis de gagner progressivement le soutien de la population.

Le plan de la lutte à venir était dessiné et il avait toutes les caractéristiques du féminisme ouvrier axé sur l’action collective de base.

Organiser à travers le regard des femmes

De grandes penseuses ont joué un rôle important dans l’élaboration de la grève historique de 2021.

Au fil des ans, le président du SCFP-N.-B, Stephen Drost, s’est appuyé sur les enseignements et les méthodes éprouvées de Jane McAlevey, une organisatrice syndicale, stratège et autrice américaine bien connue.

En plus de promouvoir la négociation coordonnée et les actions de masse, Jane McAlevey insiste sur les communications fréquentes et l’importance d’encourager un maximum de transparence dans le processus de négociation, ouvrant la voie à un engagement plus actif des membres.

C’est un levier essentiel pour l’éducation syndicale et la reconstruction d’une réelle participation ouvrière aux luttes radicales. De cette façon, les membres de la base sont sensibilisés aux actions de leur syndicat et s’approprient véritablement leur mouvement. Et en effet, le comité de négociation centralisé du SCFP-N.-B. a su garder les membres et le grand public mobilisés, grâce à ses communications en continu qui démystifiaient, jour après jour, les pourparlers avec le gouvernement.

En décembre 2020, le premier ministre Blaine Higgs a imposé un « mandat salarial de quatre ans » à l’ensemble du secteur public, soit un gel salarial d’une année suivi de trois années d’augmentations de 1 pour cent.

Il s’agissait du troisième mandat consécutif de restriction salariale pour des gens qui attendaient déjà un nouveau contrat depuis près de quatre ans.

Les membres du SCFP étaient furieux et insultés. Leur réponse a été claire : une forte opposition aux demandes du premier ministre. Ce dernier ne pouvait continuer à imposer des zéros à nos héros en pleine pandémie. Les problèmes de recrutement et de rétention, le manque de ressources dans les services publics, le manque d’attention du gouvernement aux besoins réels des travailleuses et travailleurs n’ont fait qu’empirer pendant la pandémie.

Cette colère a été canalisée dans une action constructive ; la négociation coordonnée privilégiée par Jane McAlevey était la solution.

Au cours des mois suivants, les dirigeant(e)s provinciaux du SCFP ont suivi une formation en ligne sur la grève donnée par Jane McAlevey et la Fondation Rosa Luxemburg, à la base des mouvements ouvriers et féministes et centrée sur la sensibilisation populaire.

Cela a cimenté la volonté des officiers syndicaux de mener des négociations centralisées en vue d’obtenir de vraies augmentations pour toutes les sections locales du SCFP à l’été 2021.

« Le SCFP fait tout ce qu’il peut pour en arriver à un règlement sans moyens de pression, mais le premier ministre Higgs n’entend tout simplement pas notre appel à traiter le personnel de première ligne avec équité et dignité. Il pousse les gens à la grève, ce qui se produira très bientôt. Ça suffit », avait alors prévenu le président du SCFP-N.-B., Stephen Drost.

Sur les piquets de grève

Lorsque dix sections locales provinciales du SCFP représentant du personnel de première ligne de tous les secteurs ont déclaré la grève le 29 octobre 2021, le premier ministre conservateur Blaine Higgs était toujours convaincu de pouvoir faire rentrer les travailleuses et travailleurs dans le rang.

Ensuite, il a essayé toutes les astuces possibles et impossibles pour saper la grève. Les piquets de grève ont toutefois tenu bon, malgré les publicités hostiles, les conférences de presse incessantes, le lock-out du personnel scolaire et l’adoption d’une loi sur les mesures d’urgence pour forcer le personnel de la santé à retourner au travail.

Les membres de la base ont donné d’innombrables entrevues et utilisé les réseaux sociaux pour attirer l’attention sur leur lutte. Leur stratégie de piquetage à haute visibilité consistait à établir d’énormes piquets le long des artères les plus achalandées. Et ils invitaient la population à s’y joindre pour témoigner son soutien.

Tout le monde ou presque avait un ou une gréviste dans sa famille ou dans son cercle d’amis. Les membres du personnel de soutien scolaire en grève étaient des mères, les préposées aux services de soutien à la personne en grève étaient des sœurs et des épouses.

La directrice régionale du SCFP-Maritimes, Sandy Harding, s’est adressée à la foule devant l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick avec son fils.

« Vous voyez ce panneau là-bas ? C’est mon petit Jack qui le tient. Il dit : “M. Higgs, réglez ça pour que maman puisse rentrer à la maison.” Tout ce qu’ont les élèves, c’est grâce au SCFP », a lancé Sandy Harding.

Le soutien populaire aux grévistes est demeuré élevé, à plus de 80 pour cent. Cette fois, tout le monde voyait ces « héros et héroïnes de première ligne » que le gouvernement détestait tant. Tout le monde entendait leurs revendications pour des salaires équitables.

Seize jours de grève en pandémie plus tard, une entente de principe était conclue. Le 13 novembre 2021, 10 des 11 sections locales du SCFP ont ratifié une entente qui leur a permis de crier victoire, puisqu’elles ont gagné des ajustements salariaux qui dépassent le coût de la vie : 15 pour cent et 17 pour cent sur cinq ans avec rétroactivité, ainsi qu’un salaire complet pour le personnel occasionnel. Récemment, la dernière section locale du SCFP signait son contrat de travail.

La lutte n’est pas terminée, mais les travailleuses et travailleurs du Nouveau-Brunswick ont déjà retenu une leçon syndicale cruciale : grâce à l’action de masse et la solidarité, nous avons le pouvoir de jeter les mandats d’austérité aux oubliettes de l’histoire.