Stella Yeadon | Employée du SCFP
Craig Saunders | Employé du SCFP

Ensemble, les infirmières auxiliaires autorisées (IAA) Answilla Joseph et Sonja Bernhard cumulent près de 50 ans d’expérience en soins infirmiers. Cependant, même pour ces deux IAA chevronnées, les deux dernières années ont été épuisantes. La charge de travail, les risques pour la santé et la sécurité, le manque de personnel les ont usées au point qu’elles sont prêtes à jeter la serviette.

Si elles sont à bout, ce n’est pas uniquement à cause du travail pendant la pandémie. Elles décrivent plutôt une frustration bouillonnante enracinée dans le manque de respect qu’elles voient chez le gouvernement progressiste-conservateur. Ce gouvernement, qui a déposé une loi sur le plafonnement des salaires avant la pandémie (la loi 124), a adopté, pendant la pandémie, des décrets d’urgence qui ont supplanté les contrats de travail et interféré avec les négociations collectives.

Answilla Joseph et Sonja Bernhard ne sont pas seules. Cette colère face au manque de respect du gouvernement progressiste-conservateur est partagée par plusieurs des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs du système de santé ontarien.

Après des années de bas salaires et de lourdes charges de travail, les travailleuses et travailleurs de première ligne quittent leur emploi en nombre record.

Après avoir subi un des taux d’infection à la COVID-19 et d’épuisement professionnel parmi les plus élevés au monde, la main-d’œuvre du secteur ontarien de la santé, majoritairement féminine, « est complètement démoralisée par les conditions de travail et la violence croissante qui la cible », estime Sonja Bernhard. « Et en plus, le gouvernement provincial semble vouloir nous rabaisser en offrant des primes salariales inadéquates à certaines personnes et pas à d’autres, et couper notre salaire par le biais de la loi 124. »

Début 2022, après une énième agression physique de la part d’un patient, Sonja Bernhard a abandonné son poste d’infirmière à temps plein à l’hôpital St. Joseph’s Healthcare de Hamilton, qu’elle occupait depuis 14 ans, pour un emploi à temps partiel dans le même hôpital. Elle compense la perte de revenu par un autre emploi à temps partiel dans un programme collégial de sciences infirmières.

Des réductions salariales dans un contexte d’inflation record

En utilisant la loi 124 pour plafonner les salaires de la plupart des travailleuses et travailleurs du secteur public à 1 %, les conservateurs ont diminué le salaire réel de gens comme Sonja Bernhard de 10 % au cours des deux dernières années, alors que l’inflation atteint 7 %, un sommet en 31 ans. Ce plafond salarial restreint aussi les négociations visant à bonifier les ressources en santé mentale du personnel, cruellement nécessaires après les traumatismes causés par la pandémie.

En 2021-2022, le personnel de première ligne des hôpitaux, des soins de longue durée et des soins de santé communautaires a dit haut et fort au gouvernement et aux employeurs ontariens qu’il voulait qu’on élimine la loi 124, afin de pouvoir négocier les salaires et améliorer les avantages sociaux en situation de pandémie et en santé mentale. 

Malgré la fatigue et l’épuisement, ces travailleuses et travailleurs ripostent dans le cadre de dizaines de manifestations et d’actions en milieu de travail, demandant d’abroger la loi 124. 

Grâce à son militantisme, le personnel de première ligne de la santé a obtenu un vaste soutien de la part de la population et des trois partis d’opposition de l’Ontario.

Le SCFP représente plus de 90 000 travailleuses et travailleurs de la santé en Ontario. Un récent sondage du SCFP démontre que 81 % des quelque 2 500 Ontariennes et Ontariens interrogés soutiennent l’élimination du plafond salarial de 1 % des conservateurs pour permettre au personnel hospitalier d’obtenir une augmentation de salaire au moins équivalente à l’inflation. La très grande majorité des personnes sondées ont dit souhaiter que le gouvernement stabilise la dotation en personnel, en créant davantage d’emplois à temps plein et en augmentant les salaires pour convaincre les gens de rester. Les Ontariennes et Ontariens croient que cela aidera à attirer les 50 000 travailleuses et travailleurs supplémentaires qui seront nécessaires au cours des prochaines années pour fournir des soins à une population croissante et vieillissante.

Sondage du SCFP Ontario pour le secteur de la santé

« Il est certain que le gouvernement ne peut pas nous remercier en baissant notre salaire pour avoir soigné plus de patients hospitalisés que jamais et pour nous être occupés de personnes âgées fragiles en soins de longue durée, en manque d’effectifs, pendant une pandémie », déclare Answilla Joseph, infirmière auxiliaire depuis plus de 30 ans.

Au cours de la dernière année, comme tant d’autres dans le domaine de la santé, elle a souvent envisagé de quitter son emploi d’infirmière en réadaptation musculosquelettique et multisystémique au Toronto Rehabilitation Institute. Elle n’y aurait jamais réfléchi plus tôt dans sa carrière.

« Ne pas être en mesure de négocier des protections supplémentaires en matière de santé mentale pour le personnel de première ligne, qui a travaillé pendant une pandémie, c’est tout simplement cruel », dit-elle.

La détérioration des conditions affecte la clientèle comme le personnel

À l’été 2021, le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (CSHO-SCFP), en front commun avec le SEIU Healthcare, a commencé à négocier une nouvelle convention collective provinciale pour près de 70 000 travailleuses et travailleurs hospitaliers. Ces négociations ont frappé un mur lorsque l’Association des hôpitaux de l’Ontario (AHO) a déposé des concessions, en plus de se cacher derrière le plafond salarial des conservateurs et son propre refus de négocier des protections significatives en lien avec la pandémie ou la montée de la violence contre le personnel hospitalier.

Le nombre de postes vacants dans les hôpitaux monte en flèche en réponse aux restrictions salariales de la loi 124. Les données indiquent que le taux de postes à pourvoir dans les hôpitaux est passé de 1,6 % à la fin de 2015 à 6,3 % à la fin de 2021.

Aujourd’hui, on dénombre plus de 32 000 postes vacants dans les hôpitaux et les établissements de soins infirmiers et de soins pour bénéficiaires internes. Si on ajoute les 10 350 autres postes en soins ambulatoires, on obtient un total qui dépasse les 42 000 postes vacants. Ce chiffre était de 10 000 à la fin de 2015. C’est dire qu’il s’est multiplié par quatre depuis. 

Au cours de 2020 et 2021, le nombre de postes d’infirmières à pourvoir a plus que doublé ; dans le cas des infirmières auxiliaires, il a plus que triplé. Du côté des postes d’aide-infirmière et d’aide-infirmier et de préposé(e) aux bénéficiaires, ce nombre a plus que doublé. D’autres professions auxiliaires à l’appui des services de santé ont vu le nombre de postes non pourvus plus que quadrupler.

« Le constant manque de respect du gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford à l’égard des femmes qui travaillent dans les soins de santé fait mal à nos membres et au public », soutient Michael Hurley, président du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario.

En conférence de presse, le 6 janvier 2022, le président du CSHO-SCFP, Michael Hurley, affirmait que « si on avait donné au personnel de la santé de l’équipement de protection individuelle adéquat, nous n’aurions pas eu 45 000 membres infectés par la COVID-19 au travail et 24 qui en sont décédés en Ontario seulement. Mais au lieu d’abroger une loi qui alimente la crise de dotation en personnel pendant la pandémie, les conservateurs offrent, d’un côté, de modestes augmentations de salaire permanentes aux préposé(e)s aux bénéficiaires (PAB) et, de l’autre, une somme forfaitaire aux infirmières et infirmiers qui représente une fraction de l’augmentation des PAB, tout en excluant des centaines de milliers d’autres travailleuses et travailleurs essentiels », déplore-t-il.

« Cette approche ne satisfait personne dans le domaine de la santé », souligne-t-il. « Elle a sapé le moral, provoqué un brouhaha énorme et démoralisé un secteur qui dépend fortement du travail d’équipe pour fournir des soins de qualité. »

La stabilisation de la main-d’œuvre de la santé est désormais largement considérée comme un grave problème pour le gouvernement Ford. Mais l’idéologie de celui-ci et son engagement apparemment obstiné envers une loi sur le plafonnement des salaires, adoptée avant que la pandémie ne frappe, entravent la résolution du problème.

« Si on conjugue les réductions salariales résultant de l’impact de la loi 124 à l’absence d’équipement de protection individuelle adéquat pendant la pandémie et à la charge de travail éreintante qui vient avec le système hospitalier ayant le moins de personnel de toutes les économies développées, plusieurs personnes abandonnent la partie », explique Sharon Richer, secrétaire-trésorière du CSHO-SCFP.

« Ces personnes sont bien conscientes qu’on n’exploite pas ainsi les professions de premier répondant à prédominance masculine, comme les policiers ou les pompiers », dénonce Sharon Richer, secrétaire-trésorière du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario.

« La loi 124 est sexiste et humiliante pour la main-d’œuvre à prédominance féminine de l’Ontario », ajoute-t-elle. « Les conservateurs devraient écouter les appels de plus en plus bruyants des personnes en première ligne pour la révoquer. »

Hausse des postes à pourvoir en soins de longue durée de 457 % en 7 ans

Pour aggraver les choses, ce plafonnement des augmentations salariales du personnel à 1 % contenu dans la loi 124 ne s’applique qu’aux centres de soins de longue durée et aux résidences pour personnes âgées sans but lucratif de l’Ontario. Les établissements à but lucratif et municipaux en sont exemptés.

Deux ans de pandémie plus tard, l’ensemble des travailleuses et travailleurs des soins de longue durée continuent à soutenir les personnes âgées, et tous et toutes méritent des augmentations de salaire importantes, et non des restrictions salariales.

« Avec la loi 124, les progressistes-conservateurs ont pénalisé le personnel et les opérateurs à but non lucratif qui ont pourtant mieux protégé les résidents pendant la pandémie. La majorité des décès de la COVID-19 sont survenus dans des installations à but lucratif », déplore Debra Maxfield, présidente du Comité de coordination des travailleuses et travailleurs de la santé du SCFP-Ontario.

En effet, les établissements de soins de longue durée à but lucratif ont enregistré 7,3 décès pour 100 lits dus à la COVID-19, tandis que ceux à but non lucratif, 3,8 décès pour 100 lits. La cause probable : le manque de personnel dans les centres de soins à but lucratif par rapport à ceux à but non lucratif.

En plus d’un manque criant de ressources et des problèmes de rétention et de recrutement de personnel, les centres sans but lucratif sont incapables de rivaliser avec les autres établissements du réseau de la santé au niveau de la rémunération globale, des augmentations et des ajustements des salaires. Ils perdent ainsi leur main-d’œuvre qualifiée au profit d’autres secteurs.

Ce problème est devenu si grave que le personnel de première ligne et la direction de St. Joseph at Fleming, un centre sans but lucratif de Peterborough, ont joint leurs forces dans plusieurs rassemblements communautaires pour dire au gouvernement Ford que le plafond salarial de la loi 124 leur nuit de façon disproportionnée et celle-ci doit être abrogée.

Cette crise survient à un moment où le besoin de personnel en soins de longue durée est de plus en plus critique pour les années à venir.

Le plafond salarial rendra difficile, voire impossible, l’atteinte des engagements du gouvernement d’offrir quatre heures de soins directs par résident, par jour, d’ici 2024-2025, une mesure pour laquelle le SCFP a longtemps milité. Cela aura un effet aussi sur bon nombre des nouveaux lits en soins de longue durée promis par le gouvernement Ford ; dans les faits, plus de la moitié d’entre eux seront attribués à des entreprises privées à but lucratif.

Le 2 juin 2022, le gouvernement de Doug Ford a été réélu pour un second mandat majoritaire de quatre ans.

« Ça ne peut pas continuer comme ça. Si nous voulons avoir des soins de qualité dans les hôpitaux, les maisons de retraite et les centres de soins de longue durée, sans oublier les soins à domicile et communautaires, nous avons besoin d’un gouvernement qui respecte les travailleuses et travailleurs de la santé, leur salaire et leurs conditions de travail. Un gouvernement qui, comme nous, aspire à offrir un niveau de soins supérieur dans les services publics », insiste Debra Maxfield.