Simon Ouellette | Service des communications du SCFP
Le SCFP 1188 représente 34 employés municipaux à Sackville, au Nouveau-Brunswick. Cette petite section locale plutôt tranquille s’est transformée complètement au cours de la dernière année. Elle a gagné en détermination ; elle a appris à se battre. Bref, elle est devenue une préoccupation pour les élus municipaux qui cherchent à se faire réélire.
Ce changement ne s’est pas produit par lui-même. Il a fallu une crise, créée de toute pièce par un employeur trop zélé, pour forcer la section locale à s’unir devant l’adversité. En 2016-2017, le négociateur de l’employeur a testé les limites des syndiqués en s’attaquant à l’ancienneté.
Une ville SCFP
Avec ses 5 500 âmes, Sackville diffère peu des autres petites villes. C’est un endroit sympathique au syndicat. On pourrait même dire que c’est une « ville SCFP », puisqu’un résident sur sept est membre de notre syndicat. Il y a des membres du SCFP à l’hôpital, dans les écoles, à l’université, au centre de soins de longue durée, à la municipalité et au magasin d’alcool.
Même si le sens de la communauté y est fort et que les gens profitent des bienfaits d’un taux de syndicalisation élevé, ces facteurs ne garantissent pas la force des sections locales. Ce sont les luttes pour l’équité (par l’éducation, la solidarité et la mobilisation) qui gardent nos sections locales fortes. Or, la très grande majorité des membres du SCFP 1188 n’avaient pas connu de tensions patronales-syndicales au cours des 35 dernières années.
Une gestion inspirée du privé
En 2013, Sackville a embauché un nouveau directeur municipal. Le climat de travail a basculé, le nouveau directeur utilisant des techniques de gestion inspirées du secteur privé. Malgré cela, le SCFP 1188 n’a pas vu venir les dures négociations qui l’attendaient.
Après plusieurs séances de négociation en 2016, il est devenu clair que la ville n’abandonnerait pas ses demandes de concessions sur les congés de maladie, les horaires et l’ancienneté.
Le négociateur patronal demeurait ferme sur une autre proposition : contourner le principe d’ancienneté pour les employés à temps partiel lors des affichages de postes à plein temps. Autrement dit, les années de service de ces employés ne seraient pas prises en considération pour les candidatures à un poste à plein temps.
Marcos Salib, conseiller du SCFP, a réclamé l’aide et les ressources d’autres employés du SCFP et il a rencontré l’exécutif de la section locale 1188. En décembre 2016, ils ont commencé la distribution de tracts auprès des citoyens et le démarchage auprès des conseillers municipaux pour faire tomber les demandes portant sur l’ancienneté. Ces actions étaient fortement soutenues par les membres.
Pendant ce temps, à Ottawa, un heureux hasard a fait que le Conseil exécutif national du SCFP adoptait une politique sur la résistance aux concessions et aux dispa-rités de traitement. Cette politique souligne l’importance, pour le personnel et les divisions du SCFP, de collaborer plus étroitement avec les sections locales afin de repousser les concessions demandées, tout en allant chercher le soutien de la communauté et de nos alliés.
Un camp prépare la grève, l’autre propage des rumeurs
En janvier ont commencé la formation et les préparatifs à la grève. La campagne Seniority Matters a été inaugurée et le SCFP-N.-B. A placé les comités d’action régionale (composés des présidents régionaux) en état d’alerte.
L’employeur, lui, gagnait du temps. Au Nouveau-Brunswick, le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out est précédé d’une démarche exceptionnellement longue. Lors de la période de conciliation, la ville reportait au maximum les rencontres prévues avec le syndicat dans l’espoir d’éliminer la possibilité d’une grève en hiver, quand le déneigement peut servir de levier.
Le soutien à la grève augmentant chez les membres de la section locale 1188, le conseil municipal a atténué son attaque contre l’ancienneté. La dernière version de sa proposition ne s’appliquait plus qu’aux nouvelles embauches. « Ils ont doré la pilule : la concession ne toucherait que les nouveaux employés », explique Corey Johnson, président par intérim du SCFP 1188. Les membres à l’aube de la retraite avaient peu d’appétit pour un long conflit de travail. Puis, le moral des troupes a chuté lorsque l’employeur a propagé des rumeurs de lock-out et de démarches auprès d’entrepreneurs privés pour faire du travail de remplacement. L’employeur accostait les syndiqués pour leur dire qu’ils devaient accepter ses conditions. Au point le plus bas, certains ont envisagé d’accepter cette disparité de traitement.
« Le conseil municipal et son directeur devaient nous croire assez faibles pour accepter n’importe quoi, estime la secrétaire du SCFP 1188, Pam Hicks. Ils voulaient nous avoir par la peur d’un lock-out et l’isolement pour nous imposer une clause qui affaiblirait le syndicat de l’intérieur avec l’arrivée de nouveaux employés temporaires. »
Mobiliser la population pour gagner
En février-mars 2017, le SCFP-N.-B. A multiplié les efforts d’intervention et de mobilisation : sensibilisation populaire, pétitions, pancartes devant les maisons, publicités à la radio, page Facebook. Les comités d’action régionaux ont contacté les autres sections locales de la région avant d’étendre leurs efforts au-delà du cercle immédiat. On a même convaincu quelques commerces d’afficher la campagne Seniority Matters.
En mars-avril, quelques grandes manifestations ont été organisées devant l’Hôtel de Ville. Des centaines de syndiqués ont rempli la salle du conseil pour les assemblées mensuelles. « Les manifestations ont fait beaucoup de bien, souligne Daniel Légère, président du SCFP-N.-B. La section locale y a senti le niveau de soutien populaire dont elle bénéficiait. L’impression d’isolement s’est dissipée et la peur s’est mutée en colère, l’indignation en détermination. »
Pompiers, boulangers, infirmières, travailleurs du commerce de détail – tout le monde est venu manifester à Sackville. La Fédération du travail du Nouveau-Brunswick y a fait fièrement flotter ses drapeaux.
Des citoyens ordinaires soulevaient de plus en plus de questions auprès des conseillers municipaux. Les quelques membres du conseil sympathiques aux syndicats mettaient de la pression sur les négociateurs pour en venir à une entente.
En six mois, de décembre 2016 à mai 2017, le SCFP 1188 a fait grimper la pression en faisant campagne, à coup de lobbyisme, de tracts, de pétitions, de publicités radio, de pancartes, et de manifestations et plus encore.
En mai, à la dernière minute de la période de conciliation, alors qu’un grand rassemblement allait se tenir la semaine suivante, l’employeur a accepté de faire une proposition décente au syndicat. Les parties ont fini par ratifier un contrat de six ans : aucune concession, des augmentations pour tout le monde, des rajustements pour les travailleurs précaires, une majoration des allocations pour vêtements et outils et, surtout, le maintien du droit à l’ancienneté.
La politique du CEN sur la négociation comme outil pédagogique
Le SCFP 1188 et le SCFP-N.-B. Ont appliqué le principe de syndicalisme communautaire présenté dans la politique du Conseil exécutif national : maintenir le soutien populaire pour gagner. Le syndicat n’était pas aussi isolé que plusieurs le croyaient. Il suffisait d’utiliser la force collective de la communauté.
La politique du CEN a aussi servi d’outil pédagogique. « Le SCFP 1188 y a vu l’occasion de rappeler à chacun l’importance de négocier vers l’avant, sans reculer », raconte M. Johnson. Et porter cette politique à l’attention de l’employeur permettait de lui montrer qu’on n’abdiquerait pas. « Les membres ont compris qu’ils font partie d’un vaste mouvement, ajoute M. Légère. Être syndiqué, ça a ses avantages, mais ça apporte aussi son lot de responsabilités envers ses confrères et consœurs d’aujourd’hui et de demain. »
« Sackville a servi de test, que les travailleurs ont réussi haut la main, résume Marcos Salib. Nous avons remporté une bataille, mais la guerre n’est pas finie. D’autres municipalités vont tenter de faire subir le même sort à leurs employés. »
Néanmoins, une bonne victoire, ça fait du bien. Ça motive les autres, qui peuvent apprendre des erreurs et s’inspirer des stratégies qui ont marché.
« La lutte de Sackville rappelle à notre mouvement qu’il faut se garder en forme, conclut M. Légère. En renforçant les capacités des sections locales et leur détermination à se battre, on n’éliminera pas la possibilité d’avoir à affronter un employeur déraisonnable, mais on la réduit de beaucoup. Et on augmente nos chances de gagner. »