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En adoptant le projet de loi C-4, le gouvernement conservateur a non seulement faussé le jeu en ce qui concerne le processus de négociation collective, mais il a aussi éliminé le seul organisme fédéral indépendant qui mène des études comparatives sur la rémunération des fonctionnaires fédéraux.

En effet, les Services d’analyse et de recherche en matière de rémunération (SARR) de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ont été abolis. Cette décision, qui est pratiquement passée inaperçue, faisait partie de la myriade de mesures antisyndicales enfouies dans le projet de loi C-4. Cela signifie qu’en 2014, le gouvernement conservateur négociera les salaires et les avantages sociaux de dizaines de milliers de fonctionnaires en se basant uniquement sur les données que lui auront fournies des firmes du secteur privé triées sur le volet.

Mais pourquoi donc s’en faire avec ça, surtout si l’on ne travaille pas à la fonction publique? La comparaison des salaires entre le secteur public et le secteur privé est simple, non? Tout le monde ne devrait-il pas gagner la même chose, qu’ils travaillent au public ou au privé?

Au contraire. Comparer les salaires n’est pas si simple. Et la façon dont sont rémunéré les travailleurs de la fonction publique touche tous les travailleurs, mais pas nécessairement comme on pourrait le croire.

On entend beaucoup de fausses informations sur l’écart de rémunération entre le secteur public et le secteur privé. La perception générale étant que les travailleurs du secteur public sont beaucoup mieux payés que ceux du secteur privé; perception alimentée par des rapports bâclés de lobbys de la communauté des affaires. Si le gouvernement fédéral se base sur ce type d’études, tout le monde en souffrira.

Le SCFP a produit une analyse rigoureuse comparant la rémunération des secteurs public et privé en utilisant les données d’occupation les plus détaillées du recensement. L’étude, intitulée Le choc des salaires, arrive à la conclusion que les salaires moyens sont très similaires dans le secteur public et le secteur privé pour des emplois comparables (léger écart de 0,5 %). L’étude révèle que bien que les salaires moyens sont très similaires, les échelles salariales sont très différentes et que l’écart salarial entre les hommes et les femmes est plus faible dans le secteur public. Il en ressort également que le taux de salaire est beaucoup plus équitable dans le secteur public que dans le secteur privé, qu’on le mesure en fonction de l’âge, du groupe professionnel ou de la région.

Au sein des groupes professionnels à faible revenu, les travailleurs sont généralement mieux rémunérés dans le secteur public. Mais au sein des groupes professionnels à revenu élevé, c’est l’inverse.

Par ailleurs, les femmes sont mieux rémunérées dans le secteur public grâce, notamment, aux lois sur l’équité salariale, qui sont rarement appliquées dans le secteur privé. Dans le secteur public, les hommes sont généralement moins bien payés que dans le secteur privé (environ 5 % de moins pour un poste équivalent).

  

Fait intéressant : d’autres études comparatives, dont celle menée par l’Institut de la statistique du Québec, n’ont trouvé aucune preuve tangible d’une meilleure rémunération des travailleurs de la fonction publique.

Si la rémunération est plus équitable dans le secteur public que dans le secteur privé, c’est, d’abord, grâce au travail accompli par les syndicats pour obtenir des échelles salariales plus équitables. Mais c’est aussi parce que la population ne tolérerait pas qu’on verse des salaires faramineux aux cadres ou des salaires de misère aux travailleurs, deux pratiques courantes dans le secteur privé. Pourtant, c’est exactement ce qui arrivera si nous appliquons au secteur public les règles sur la rémunération qui sont en vigueur dans le secteur privé.

Le fédéral et quelques provinces s’en prennent aux échelles salariales équitables mises en place dans le secteur public. Cette tactique a pour but de nuire aux services publics, de susciter la jalousie, de diviser les employés et, ultimement, de réduire tous les salaires, surtout les plus bas. Sur les plans social et économique, ce serait catastrophique.

Pour le Conference Board du Canada, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI), l’inégalité croissante des revenus est un grave problème au Canada puisqu’elle entrave la croissance économique. Plusieurs, y compris au FMI, croient même que c’est un des facteurs à l’origine de la plus récente crise économique et financière.

Le secteur privé devrait s’inspirer du modèle de rémunération équitable du secteur public, pas l’inverse. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain, mais nous pouvons et nous devons agir pour que cela se produise. Il y a plusieurs façon d’y arriver : augmenter le salaire minimum, exiger que les gouvernements et leurs sous-traitants paient de bons salaires et des salaires décents, permettre aux actionnaires de donner leur opinion sur le salaire des PDG, restreindre les mesures qui encouragent les entreprises à verser un salaire excessif aux PDG, bonifier les régimes publics de retraite (RPC, RRQ) et d’avantages sociaux, financer adéquatement les services publics et renforcer, et non affaiblir, les syndicats et les droits des travailleurs.

Soyons réalistes, le gouvernement actuel n’a aucunement l’intention de prendre des mesures pour augmenter les salaires ou réduire les disparités salariales. En fait, il va carrément dans le sens contraire. Mais une majorité de Canadiens et Canadiennes appuient de telles mesures, et c’est à eux que le gouvernement doit rendre des comptes.

Toby Sanger, économiste principal, Syndicat de la fonction publique du Canada

David-Alexandre Leblanc, agent de recherche principal, Alliance de la Fonction publique du Canada

Cet article est paru dans le Ottawa Citizen du 14 janvier 2014.