Kelti Cameron | Employée du SCFP
Migrante Canada est une alliance pancanadienne d’organisations de personnes migrantes et immigrantes philippines. En collaboration avec le SCFP 40, une section locale qui représente des membres du secteur de l’éducation à Calgary, on a créé, en 2021, un projet du Fonds pour la justice mondiale appelé Les travailleuses et travailleurs sans-papiers sont des travailleurs : régularisez-les ! qui soutient le programme de mobilisation.
Des personnes organisatrices vont au-devant des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires pour proposer des ateliers sur leurs droits et sur la façon de les faire valoir. Dernièrement, Migrante Canada s’est concentrée sur des réunions avec des travailleuses et des travailleurs sans-papiers ni statut pour en savoir plus sur leur vécu, leur prodiguer des conseils pour soutenir leurs efforts d’organisation et trouver des moyens de partager leurs expériences sans les mettre en danger.
C’est politique
Le directeur de Migrante Canada, Marco Luciano, affirme que l’importance de ce projet avec le SCFP est politique. « En tant que personnes migrantes travaillant dans un pays d’accueil comme le Canada, nous nous considérons vraiment comme faisant partie de la main-d’œuvre. Par conséquent, nous devrions également faire partie du mouvement syndical. »
Il pense qu’il est crucial de se lier avec le monde syndical dans différents secteurs pour renforcer la solidarité et la compréhension du rôle que jouent les personnes migrantes au Canada, car elles font partie de nos communautés et continueront probablement à travailler ici.
Depuis les années 1800, le projet colonial du Canada dépend de la main-d’œuvre migrante. Ce sont des personnes migrantes qui ont construit le chemin de fer du Canadien Pacifique et les grands centres urbains du pays.
Deux siècles plus tard, même notre sécurité alimentaire dépend de la main-d’œuvre migrante. Lorsque la COVID-19 a frappé, les fermes du sud de l’Ontario et du centre de l’Alberta ont fait pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il autorise les travailleuses et travailleurs agricoles migrants à venir au Canada, sans quoi elles n’auraient pas pu faire les semailles et les récoltes.
Le gouvernement canadien adopte la mauvaise approche face à une présumée future pénurie de main-d’œuvre en s’appuyant sur le programme de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (TET), récemment élargi. Dans des secteurs comme l’hôtellerie et la restauration, la construction, les soins de longue durée et les hôpitaux, ainsi que dans certaines industries manufacturières, jusqu’à 30 % de la main-d’œuvre peut être composée de ces travailleuses et travailleurs étrangers temporaires. Selon le milieu syndical, le gouvernement devrait encourager les employeurs à inciter les gens à rester au travail et à offrir des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail.
La migration mondiale, c’est « une grosse business ». Au Canada seulement, les personnes migrantes et immigrantes philippines envoient plus d’un milliard de dollars par année aux Philippines. « C’est devenu un moyen systémique de tirer profit des gens, des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires », estime Marco Luciano. Il ajoute que notre économie axée sur le profit participe au « commerce » de personnes et profite du recrutement et de l’expulsion de la main-d’œuvre migrante.
Les programmes de TET exploitent la vulnérabilité des personnes migrantes pour « niveler vers le bas », c’est-à-dire pour faire diminuer les salaires et les conditions de travail de l’ensemble de la classe ouvrière. Selon Marco Luciano, ces programmes existent « précisément pour diviser les travailleuses et les travailleurs en faisant en sorte qu’une personne soit moins chère qu’une autre ». Le Canada est l’un des principaux acteurs au monde dans l’utilisation et l’abus de main-d’œuvre migrante.
En fait, la plupart des personnes migrantes ne veulent pas quitter leur pays d’origine pour commencer une nouvelle vie ailleurs. La pauvreté et le chômage, ainsi que la recherche de sécurité et de stabilité en raison de la violence, de l’occupation militaire, de la guerre ou de la crise climatique sont autant de facteurs derrière leur besoin de quitter leur domicile. Et leur désespoir de gagner de l’argent au Canada pour subvenir aux besoins de leur famille à l’étranger les force à accepter des emplois dans des conditions que les personnes moins vulnérables (qui ne craignent pas d’être expulsées) n’accepteraient tout simplement pas.
Marco Luciano affirme que sans combat, « il y aura toujours de ces programmes de TET. Il y aura toujours un tri entre un “bon” migrant pour rester au Canada et un “moins bon” migrant à expulser. Pourquoi ? Parce que les McDonald, les Tim Horton et les grands hôtels du Canada ont besoin de main-d’œuvre bon marché, jetable, captive. Et si une travailleuse ou un travailleur se plaint, on le ou la renvoie à la maison et l’employeur en reçoit un autre. »
Les politiques gouvernementales appuient ces tactiques patronales. L’évaluation d’impact sur le marché du travail (EIMT), qui est le contrat entre le gouvernement, l’employeur et le travailleur ou la travailleuse, en est un bon exemple. Elle lie la personne à un seul employeur. Si celle-ci perd ou quitte son emploi, elle est livrée à elle-même jusqu’à ce qu’elle puisse obtenir une nouvelle EIMT, ce qui prend beaucoup de temps.
Tellement de temps, en fait, que plusieurs personnes tombent dans les mailles du filet. Elles deviennent sans-papiers, ce qui signifie qu’elles perdent leur statut d’immigration et peuvent être expulsées.
Selon Marco Luciano, le système d’expulsion est conçu pour perpétuer le caractère temporaire de ces personnes migrantes et pour fournir aux employeurs une source de main-d’œuvre la moins chère possible. « Le système forme un tout conçu expressément pour cela », dit-il.
C’est personnel
Le président du SCFP 40, Clay Gordon, affirme que le projet du Fonds pour la justice mondiale du SCFP est important en raison du contexte actuel pour les personnes migrantes, ainsi que pour ses membres. S’il lui accorde autant d’importance, c’est parce qu’il permet d’apporter un soutien politique tout en augmentant l’implication et la solidarité des membres.
Il se souvient avoir été excité pendant son développement : « Peut-être que notre section locale pourra faire quelque chose pour un groupe de personnes qui ne sont pas seulement au sein de notre section locale, mais qui font partie de notre communauté immédiate. »
Le SCFP 40 compte un grand nombre de membres philippins. Beaucoup connaissent des amis, des membres de la famille et des membres de la communauté qui ont une expérience directe du système d’immigration et du programme de TET du Canada. Clay Gordon encourage les membres du SCFP qui ont fait l’expérience du système d’immigration canadien à s’exprimer, car ils ont des idées et des informations importantes à partager sur leurs difficultés.
Il sait qu’il y a des membres du SCFP qui hésitent à se manifester par crainte pour leur sécurité d’emploi ou de répercussions s’ils dénoncent la situation. Certains membres peuvent avoir peur à cause de leur expérience avec le système d’immigration, ou peut-être qu’ils ont travaillé dans des emplois non syndiqués où ils auraient pu facilement être renvoyés.
Il croit que l’implication de la section locale aidera les gens à comprendre ce qui arrive à ces membres de la communauté. Le refus qu’il a essuyé de certains membres de sa section locale lorsqu’il a proposé le projet est venu renforcer ce besoin de sensibilisation. « Pourquoi devrions-nous nous concentrer sur autre chose que nos problèmes ? Pourquoi devrions-nous consacrer des ressources à ces gens qui ne font pas partie de notre section locale ? », s’est-il fait demander.
Or, pour Clay Gordon, les problèmes des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, qu’ils soient sans-papiers ou non, nous touchent tous : « Nous faisons tous partie d’une même communauté. On sait que le SCFP et d’autres syndicats ont fait progresser les droits des travailleuses et des travailleurs pendant des décennies, comme la semaine de travail de 40 heures, les heures supplémentaires, les fins de semaine. Donc, les efforts que nous faisons profiteront à tout le monde. »
Ce projet et d’autres qui lui ressemblent renforcent notre syndicat. Ils visent à empêcher les employeurs d’exploiter les gens, et nous, travailleuses et travailleurs, devons être unis dans cette lutte.
« Peut-être que nous faisons ce travail pour éliminer de l’esprit des gens la stigmatisation selon laquelle ces étrangères et ces étrangers volent nos emplois. Parce que c’est faux : ils font le travail que personne ne veut faire, du travail nécessaire et apprécié. Et peut-être que notre partenariat avec un groupe comme Migrante Canada aidera les gens au sein de notre organisation à réaliser que ce n’est pas un problème de personnes qui viennent prendre nos emplois », ajoute-t-il.
Nous ne pouvons pas agir seuls
Marco Luciano affirme que la solidarité et l’alliance que le projet du Fonds pour la justice mondiale vise à créer sont essentielles : « Les personnes migrantes ne peuvent pas régler leurs problématiques et lutter pour la résidence permanente à elles seules. Elles n’ont pas le droit de vote. Elles ont peur de s’affirmer. C’est pourquoi la solidarité et les alliances entre travailleuses et travailleurs locaux et migrants sont très importantes dans la lutte pour la justice pour les personnes migrantes. »
Le gouvernement canadien se demande s’il devrait accorder à ces personnes les mêmes droits qu’aux autres travailleuses et travailleurs du Canada. La réponse réside dans la façon dont le Canada choisit de traiter les travailleuses, les travailleurs et les communautés racisées, en particulier ceux et celles qui viennent de pays pauvres et qui occupent des emplois peu rémunérés.
Il y a au moins 1,7 million de personnes migrantes au Canada, soit une personne sur 23, qui n’ont pas les mêmes droits que nous. Au moins 1,2 million de personnes au Canada reçoivent chaque année un permis temporaire de travail, d’études ou de demandeur d’asile. Dans ce groupe, les personnes à bas salaire n’ont pas accès à la résidence permanente, elles sont donc éventuellement obligées de quitter le Canada ou de rester au pays sans-papiers. En ce moment, il y a plus de 500 000 personnes sans-papiers au Canada.
Le Réseau des droits des migrants, la plus grande coalition dirigée par des personnes migrantes au Canada, réclame un programme de régularisation qui assurerait le statut de résident permanent aux 500 000 sans-papiers et aux membres de leur famille.
Le gouvernement canadien semble envisager un programme de ce genre. On ne sait pas à quoi il ressemblera ni quand il sera mis en œuvre. Chose certaine, on n’en parlerait pas si ce n’était des personnes migrantes et de leurs allié(e)s qui se sont exprimés, qui ont fait pression et qui se sont mobilisés, à travers le pays, pour qu’on respecte la dignité et la sécurité des travailleuses et des travailleurs migrants.
Clay Gordon espère voir plus de membres de sections locales s’impliquer auprès de Migrante Canada à l’avenir, en aidant à organiser des ateliers ou à partager de l’information. Le projet a été lancé pendant la pandémie, et toutes les personnes impliquées sont prêtes à intensifier l’effort pour faire entendre davantage de voix de personnes migrantes et faire passer leur message à tous les paliers de gouvernement, au mouvement syndical et au-delà.
Migrante Canada est une alliance pancanadienne d’organisations de personnes migrantes et immigrantes philippines. Fondée en octobre 2010, elle compte 13 sections et organisations membres à travers le pays. Elle a participé à la fondation du Réseau des droits des migrants.
Le SCFP 40 représente les employé(e)s du conseil scolaire de Calgary qui travaillent dans les services des installations et de l’environnement.
Fonds pour la justice mondiale
La solidarité entre travailleurs et travailleuses est au cœur du travail de justice mondiale du SCFP. Grâce à notre Fonds pour la justice mondiale, les membres du SCFP ont la possibilité de tisser des liens avec des travailleuses, des travailleurs et des militant(e)s du monde entier.
Le fonds soutient et renforce les liens entre travailleuses, travailleurs et mouvements populaires réclamant un emploi décent, un salaire suffisant, un lieu de travail sécuritaire, la justice et la paix.
Il finance des projets qui font progresser la lutte pour les droits des travailleurs et des travailleuses, l’accès aux services publics et le droit à la terre, ainsi que l’éradication de la guerre et de la violence sous toutes leurs formes.
En apprenant les uns des autres, en partageant nos expériences, nous sommes toutes et tous plus forts. Les membres, les sections locales, les conseils, les divisions et les comités du SCFP peuvent tous contribuer au Fonds pour la justice mondiale.
Apprenez-en davantage sur les projets de solidarité internationale du SCFP et appuyez le Fonds pour la justice mondiale à scfp.ca/solidarite-internationale