Au Manitoba, le gouvernement conservateur a déposé un projet de loi qui propose de modifier la Loi sur les relations de travail pour éliminer l’accréditation par vérification des cartes. La division manitobaine du Syndicat canadien de la fonction publique s’oppose vigoureusement à ce projet de loi 7 qui risque de compliquer la vie des travailleurs qui souhaitent se syndiquer. Le SCFP plaide en faveur de son rejet, aux côtés des partis d’opposition, de chercheurs et d’alliés syndicaux et communautaires. Le SCFP a fait une présentation aux récentes audiences du comité du gouvernement, comme des dizaines d’autres intervenants. La presque totalité des intervenants dans ces audiences, soit 93 pour cent, s’oppose au projet de loi.

« Le projet de loi 7 ne fait pas que s’en prendre aux syndicats ; il attaque l’ensemble des travailleurs », soutient la présidente du SCFP-Manitoba, Kelly Moist.

Au Manitoba en ce moment, la Commission du travail du Manitoba a le pouvoir de reconnaître un agent négociateur si, au moment de la demande, il peut revendiquer l’appui de 65 pour cent des employés compris dans l’unité d’accréditation. On appelle communément ce mécanisme « accréditation par vérification des cartes ». Si la commission arrive à la conclusion que l’appui à l’agent négociateur se situe entre 40 pour cent et 65 pour cent des travailleurs de l’unité, elle organise un scrutin d’accréditation pour connaître la préférence des employés. Le Manitoba utilise la vérification des cartes de membre signées pour valider l’accréditation depuis toujours, à l’exception d’une courte période de 1997 à 2000.

Alors que le Manitoba propose d’éliminer ce système, le fédéral, lui, cherche à le rétablir pour les domaines de compétence fédérale tout en rendant le seuil plus accessible. Le nouveau système fédéral nécessiterait la majorité simple de 50 pour cent plus un, contrairement à la super-majorité de 65 pour cent qui a cours au Manitoba actuellement.

Le mécanisme de la vérification des cartes protège les travailleurs contre l’intimidation et les menaces de la part d’employeurs antisyndicaux et de leurs agents. Il permet de connaître la volonté réelle des employés. Avec le scrutin d’accréditation (ni plus ni moins qu’un second vote pour reconfirmer l’appui au syndicat), l’employeur obtient une semaine ou plus pour décourager ses employés à se syndiquer. Dans nos campagnes de recrutement, les employeurs et leurs agents essaient couramment de convaincre leurs employés que la syndicalisation entraînera une baisse de leur salaire et de leurs avantages sociaux, qu’elle menace la survie de l’entreprise ou qu’elle provoquera des mises à pied. Selon l’expérience du SCFP, ces manœuvres sont pratiques courantes, même si elles contreviennent aux lois du travail.

Mme Moist a expliqué au comité que, dans une étude de 2015, le Fonds monétaire international (FMI) a établi un lieu direct, dans les pays comme le Canada, entre le creusement des inégalités et la baisse du taux de syndicalisation, cette baisse entraînant une augmentation du revenu des plus hauts salariés au détriment de la classe moyenne. « Accroître le taux de syndicalisation, le nombre de travailleurs protégés par une convention collective, permet d’améliorer les salaires et de rehausser les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs, ajoute-t-elle. Les syndicats rehaussent la norme pour tous. »

John Godard est professeur en relations de travail à l’Université du Manitoba et rédacteur en chef du British Journal of Industrial Relations, une revue à comité de lecture. Il a beaucoup écrit et fait des recherches sur les lois du travail au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, notamment sur les mécanismes d’accréditation syndicale.

Dans le cadre de ses recherches sur les mécanismes fédéraux canadiens et américains, il n’a relevé « pratiquement aucune » preuve d’interférence syndicale dans les campagnes d’accréditation. Il affirme qu’aux États-Unis, où le scrutin d’accréditation est obligatoire, « le coupable principal, en général, est l’obligation du scrutin, celle-ci fournissant à l’employeur l’occasion d’interférer dans le choix des travailleurs ». M. Godard a ajouté à l’intention du comité :

Nous disposons aujourd’hui d’un certain nombre d’études publiées dans des revues réputées qui démontrent que l’obligation de scrutin au Canada gonfle considérablement le nombre de plaintes pour pratiques déloyales et qu’elle diminue grandement la probabilité que des travailleurs se syndiquent.

Pour aider le comité à comprendre l’effet des syndicats sur les milieux de travail au quotidien, M. Godard a passé en revue une analyse des données de Statistique Canada réalisées en 2015 par Dionne Pohler de l’Université de Toronto et Andrew Luchak de L’Université de l’Alberta. Il admet la complexité de la problématique :

Les auteurs ont constaté que les effets des syndicats au Canada varient selon que l’employeur adopte ou non une « stratégie axée sur l’employé », où l’accent est mis sur le perfectionnement des employés, leur participation et la coopération patronale-syndicale. Chez l’employeur qui adopte ce type de stratégie, la syndicalisation a des répercussions essentiellement positives sur les litiges, le climat de travail, le taux de démissions, la résolution des conflits, la croissance de l’emploi et la rentabilité de l’entreprise. C’est généralement le contraire chez l’employeur qui n’adopte pas une stratégie de ce genre. Au risque de simplifier à outrance, disons que les syndicats sont « bons » pour les « bons » employeurs et « mauvais » pour les « mauvais » employeurs.

Enfin, M. Godard affirme craindre « que le projet de loi 7 soit annonciateur d’une transformation des politiques du travail qui irait bien au-delà de la simple élimination de l’accréditation par vérification des cartes ».

Mme Moist est du même avis : « Il est crucial que le SCFP défende ses membres et l’ensemble des travailleurs. Le SCFP souhaite la paix sociale au Manitoba, mais le projet de loi 7 n’est pas l’instrument qui la rendra possible. »