Zaid Noorsumar | Employé du SCFP
Cela faisait longtemps que les paramédics du SCFP 5911 à Kenora subissaient de la discrimination lorsqu’elles demandaient des accommodements pendant une grossesse. Mais au printemps 2022, elles ont inversé la tendance en décrochant d’importants gains pour les parents et les travailleuses enceintes devant un employeur soudain beaucoup plus réceptif à la table de négociation. Voici l’histoire de cette réussite mobilisatrice.
Nicole Runge a toujours su que ses collègues ambulancières paramédicales de Kenora avaient de la difficulté à obtenir des accommodements pendant une grossesse. C’est pourquoi elle a travaillé aussi longtemps qu’elle le pouvait pendant qu’elle était enceinte de son premier enfant avant de demander des modifications à ses tâches. « J’ai fait l’effort de rester sur la route jusqu’à ce que je me sente totalement en danger et incapable de faire le travail », dit-elle.
Ce n’est qu’à sa deuxième grossesse qu’elle a ressenti le besoin de lutter contre la discrimination systémique de son employeur qui obligeait les femmes à se battre pour un droit fondamental.
Son employeur, la Commission des services de Kenora, a refusé sa demande d’accommodement, qui consiste, dans le cas d’une paramédic, à une réaffectation à des « travaux légers », comme du travail de bureau, au lieu de monter dans une ambulance afin de répondre aux urgences et d’effectuer des tâches physiques intenses. Devant ce refus, le SCFP 5911 a déposé un grief.
« J’ai dû me battre bec et ongles pour obtenir un accommodement. L’employeur a fait traîner la procédure de grief autant qu’il le pouvait », raconte celle qui est aujourd’hui vice-présidente de sa section locale. « Ce fut un véritable marathon. On me disait qu’on prendrait rendez-vous avec moi ou qu’on travaillerait avec moi, puis rien n’était fait. »
L’employeur a soutenu qu’elle devrait prendre un congé d’invalidité de courte durée (ICD). Nicole Runge estimait qu’il avait tort ; elle n’était pas invalide et la perte de revenu que représentent des prestations d’ICD l’aurait empêchée de payer ses factures et son hypothèque.
Elle a donc persisté, épaulée par son syndicat. Et elle a finalement obtenu son accommodement dans le dernier mois de sa grossesse. Mais l’expérience s’est avérée épuisante. Elle en avait assez.
« Plusieurs fois, j’ai été super stressée, je pleurais en essayant de comprendre », admet-elle, en se rappelant avoir eu peur de perdre sa maison. « Et je voulais que plus personne n’ait à traverser ça. Parce qu’il n’y a rien de pire que de voir sa joie d’apporter une nouvelle vie dans ce monde écrasée par des soucis qu’une femme ne devrait pas avoir au 21e siècle. »
Résolue à changer la culture de son lieu de travail, Nicole Runge s’est mise à militer.
Ensemble, les collègues sont plus fortes
La première étape consistait à circonscrire l’étendue du problème, explique Nicole Runge. Celle-ci a contacté toutes les membres du SCFP 5911 qui avaient demandé un accommodement pour grossesse au cours des 20 dernières années, puis elle a compilé leurs témoignages.
« Je leur ai dit que le problème persistait, que c’était inacceptable et que je voulais m’arranger pour que ça ne se reproduise plus », se souvient-elle. « Tout le monde a embarqué et a soutenu l’initiative. À force de temps et de patience, j’ai recueilli des lettres de toutes ces femmes et j’ai entendu leurs histoires. »
Elle a constaté que presque toutes les paramédics avaient dû affronter la résistance de l’employeur. On était manifestement en présence d’une discrimination sexiste profondément enracinée dans la culture du milieu de travail.
Il y avait Amanda*, placée en congé de maladie sans solde et invitée à faire une demande d’ICD. Elle a finalement été remboursée par l’employeur juste avant son accouchement, mais elle a tout de même perdu un mois de salaire.
Sandra* a dit à l’employeur que son médecin était en désaccord avec leur idée de demander des prestations d’ICD. En réponse, son gestionnaire a fait la suggestion hautement inappropriée que son médecin révise son billet. Elle a fini par recevoir un accommodement.
Laura* aussi a dû se battre avant que l’employeur ne la réaffecte à des travaux légers. Mais on l’a envoyée dans un bureau situé à 90 minutes, alors que son médecin lui avait déconseillé les déplacements. La réponse de l’employeur ? « C’est à prendre ou à laisser. »
Et Claire* s’est fait dire qu’elle devrait être reconnaissante des avantages qu’elle avait, parce qu’aux États-Unis, les femmes n’ont que six semaines de congé de maternité.
En plus, bien des femmes économisaient leurs jours de vacances en prévision du refus de leur demande.
Nicole Runge devenait très émotive en constatant les témoignages de traitements épouvantables de ses collègues. En lisant les atrocités infligées à ces femmes, elle en pleurait.
« C’était déchirant d’apprendre tout ce qu’elles avaient enduré, seules et en silence », dit-elle. « J’avais l’impression qu’elles étaient enfin entendues, que quelqu’un ressentait leur douleur. Et j’ai l’impression de les avoir aidées de deux manières : je les aidais à changer le système, mais je les aidais aussi en les écoutant et en prenant acte de ce qu’elles avaient vécu. »
Elle ajoute que ces travailleuses n’ont pas trouvé la rédaction de leur témoignage facile ; elles craignaient des conséquences sexistes, qu’on les stigmatise et qu’on les traite de « folles ».
« Dans les carrières à prédominance masculine, les femmes luttent constamment contre la stigmatisation. Il faut rester stoïque et montrer ses émotions, c’est être faible. Et si on est faible, on est incapable de faire le travail », explique Nicole Runge.
Une campagne couronnée de succès
L’étape suivante consistait à écrire aux personnes élues à la Commission des services de Kenora. Envoyée en décembre 2021, la lettre du SCFP 5911, signée par tous les membres du conseil exécutif de la section locale, citait des témoignages anonymes recueillis par Nicole Runge pour démontrer l’existence d’une coutume de discrimination fondée sur le genre.
À peu près au même moment, la sage-femme de Nicole Runge, qui avait également prodigué des soins à d’autres paramédics de Kenora, a écrit à la commission à propos du traitement auquel ces femmes étaient soumises.
La pression croissante a mené au succès. Depuis, les deux ambulancières paramédicales qui ont demandé un accommodement l’ont obtenu rapidement.
De plus, le syndicat a constaté un changement d’attitude de la part de l’employeur lors des négociations contractuelles du printemps 2022. À la table de négociation, le SCFP 5911 a obtenu des gains importants pour les parents et les travailleuses enceintes, dont cinq semaines supplémentaires de congé de paternité et l’indemnisation à 100 % pendant les congés de maternité et de paternité (contre 93 % auparavant).
Selon Nicole Runge, ces développements positifs témoignent de la force que déploient les paramédics pour défendre leurs droits. Elle dit que les membres sont très satisfaits de certains de ces gains pour les parents dans le nouveau contrat, surtout la jeune génération de femmes qui ont des enfants ou qui s’attendent à fonder une famille bientôt.
Quant aux femmes des générations précédentes, Nicole Runge affirme qu’elles sont heureuses d’avoir participé à ce changement tant attendu : « Elles ont le sentiment d’en être en partie responsables. Même si elles savent qu’elles ne jouiront pas de ces victoires, elles sont heureuses que d’autres n’aient plus à souffrir comme elles. »
* Ces prénoms sont fictifs pour préserver l’anonymat des personnes concernées.