
Le nom NOMADESC vient de nomade (qui se déplace constamment) et desc (acronyme de « développement économique, social et culturel »).
Nomadesc a organisé des réunions inspirantes avec des défenseurs des droits de la personne et de jeunes leaders, qui ont expliqué les impacts des conflits armés, de la violence d’État ou criminelle, et des déplacements causés par des mégaprojets d’infrastructure sur leurs communautés.
Nous avons eu une rencontre particulièrement émouvante avec la mère de Nicolás García Guerrero, qui a été abattu par la police lors d’une vague de manifestations en 2021. Nicolás était graffiteur et père d’un jeune enfant.
Un très grand nombre de jeunes ont pris la rue lors de ces manifestations, déclenchées par les hausses d’impôts, la corruption et les réformes de la santé menées par le président de l’époque, Iván Duque. Plusieurs estimaient que leurs conditions sociales et économiques étaient si mauvaises qu’ils n’avaient plus rien à perdre. Les forces armées ont tué 84 personnes au pays lors de ces manifestations et les familles des victimes cherchent encore à obtenir justice.
La plupart des personnes que nous avons rencontrées étaient des étudiant(e)s ou des diplômé(e)s de l’Université interculturelle des peuples de Nomadesc. Plutôt que d’offrir ses cours dans des salles de classe conventionnelles, cette université mobile les dispense directement là où les agriculteurs et les populations autochtones vivent. Elle valorise la sagesse et les traditions locales, tout en aidant les étudiant(e)s à transmettre leurs apprentissages à leur communauté.
« Nous avons rencontré un jeune homme qui nous a particulièrement marqués; c’était un artiste, un rappeur et un activiste. L’année avant la manifestation, il a perdu un oeil à cause de tirs de balles en caoutchouc. Et même si on dit que la Colombie a présentement un président et une vice-présidente progressistes, il y a encore beaucoup de danger, beaucoup d’oppression. Nous avons entendu des témoignages horribles sur la façon dont les gens sont traités », indique Mark Hancock.

Buenaventura est le plus grand port de Colombie et sa situation stratégique en fait une ville cruciale pour l’économie du pays. Le port a été agrandi grâce à des fonds étrangers après que la Colombie a signé plusieurs accords de libre-échange, notamment avec le Canada. C’est aujourd’hui le plus grand port commercial en eau profonde d’Amérique du Sud et l’un des dix principaux ports d’Amérique latine. Il traite 75 % des exportations colombiennes, notamment du sucre et du café, ce qui génère d’importants bénéfices pour les entreprises et contribue de façon significative aux recettes fiscales de la Colombie.
Même si beaucoup de richesses y circulent, Buenaventura est l’une des villes les plus pauvres du pays.
« Il y a très peu de services publics et l’approvisionnement en eau pose toujours problème. En même temps, des navires de guerre américains sont stationnés juste à l’extérieur du port, et l’argent coule à flots dans les poches des quelques riches et des cartels », déplore Mark Hancock.
Des milliers de personnes ont été déplacées lors de l’expansion du port et la plupart vivent dans la pauvreté. Plus de 95 % de la population de la ville est noire et les leaders locaux nous ont parlé du racisme systémique et de la violence qui y règnent. La communauté se bat courageusement pour l’équité économique et l’accès à des services de base, notamment l’eau, les soins de santé et l’éducation.
Ce combat sans relâche a donné lieu à une remarquable grève en 2017, qui a entraîné la fermeture du port pendant 22 jours et forcé les autorités à négocier des solutions aux conditions de vie précaires des communautés noires. Bien que ces négociations aient attiré l’attention sur des problèmes cruciaux, la lutte pour des changements concrets se poursuit.
Nous avons aussi rencontré Victor Vidal, l’un des porte-parole du comité de la grève de 2017, qui est ensuite devenu maire de Buenaventura.
« J’ai rencontré Victor Vidal il y a plusieurs années, alors qu’il faisait partie d’une délégation qui visitait des syndicats canadiens », se souvient Mark Hancock. « Puis, j’étais en Colombie en 2019, lorsqu’il a été élu maire de Buenaventura. Je me souviens d’avoir passé du temps avec lui dans son bureau de campagne et, à mesure que la soirée avançait, il est devenu évident que Victor allait gagner. C’était excitant, parce que c’était une belle occasion, mais cette occasion avait aussi un prix, puisque sa vie serait désormais en danger. Lors de notre visite en novembre dernier, Victor venait de terminer son mandat de maire, mais il avait encore des gardes du corps, puisque sa sécurité était toujours menacée en tant que dirigeant progressiste. Il a réalisé des percées, mais malgré ses projets d’envergure, il était déçu de n’avoir pu accomplir que moins de 10 % de ce qu’il voulait faire. »
L’expérience de Victor Vidal confirme qu’il existe des obstacles structurels au changement progressiste, qui ne peuvent être levés automatiquement avec une seule victoire électorale.
Notre délégation a aussi rencontré des membres de Sinaltrainal (le syndicat national des travailleuses et travailleurs de l’alimentation) dans la ville de Bugalagrande. Le syndicat est en conflit de travail avec Nestlé de Colombia S.A. depuis que l’entreprise a interdit aux représentant(e)s du syndicat d’entrer en contact avec les travailleuses et travailleurs. En avril 2024, les syndiqué(e)s ont installé un campement devant les portes de l’usine Nestlé et ont tenu bon malgré les tentatives de démantèlement du camp.
« Les travailleuses et travailleurs étaient dans leurs tentes avec leurs familles, avec leurs enfants. Ils pensaient que la présence de leurs familles rendrait une fusillade ou une attaque contre eux moins probable. Mais il y a eu une fusillade cinq jours avant notre arrivée », raconte Mark Hancock.
« Pendant que nous étions là, les autorités ont convoqué une réunion et le syndicat nous a demandé d’y assister comme observateurs internationaux. Nous avons évidemment accepté, mais je me suis rendu compte que je ne suis pas un bon observateur international silencieux », se souvient Mark Hancock. « C’était surréaliste de voir deux dirigeants syndicaux se présenter sans leurs collègues pour ne pas mettre davantage de vies en danger, dans une salle remplie de gens qui représentent le gouvernement et l’employeur, et quatre policiers. Plus tard, ils nous ont confié que notre présence avait changé positivement le déroulement de la réunion. Nous avons fait la différence et c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. »