Rebecca Benson | Employée du SCFP

Le budget fédéral de 2022, déposé le 7 avril, est loin d’être suffisant pour que le Canada puisse poursuivre ses efforts de réconciliation. 

En juin 2021, le premier ministre Justin Trudeau avait déclaré que la blessure et le traumatisme ressentis par les communautés autochtones étaient « la responsabilité que le Canada doit assumer » et promis que « même si nous ne pouvons pas ramener celles et ceux qui ont été perdus, nous pouvons — et nous allons — dire la vérité sur ces injustices et honorer à jamais leur mémoire ».

Depuis la première découverte de 215 tombes anonymes au pensionnat de Kamloops en mai 2021 (nombre révisé par la suite à 200), on a identifié plus de 1 800 tombes du genre, confirmées ou présumées, sur les sites de pensionnats autochtones à travers le pays.

Soulignons que les communautés autochtones ont toujours parlé d’enfants qui ne sont jamais revenus des pensionnats. Elles ont toujours affirmé qu’il y avait des tombes anonymes sur les sites des pensionnats. La Commission de vérité et réconciliation avait inclus des informations sur des tombes connues et présumées dans son rapport final publié en 2015.

Or, en date d’avril 2022, seuls 15 des 139 sites de pensionnats ont été fouillés ; il en reste 124 à explorer.

Hélas, le budget fédéral de cette année ne prévoit pas d’engagements concrets pour donner suite à la promesse du premier ministre. D’ailleurs, l’une des principales faiblesses de ce budget est le manque de soutien aux communautés autochtones pour des fouilles sur les sites des pensionnats afin de retrouver des tombes anonymes.

En prévision du budget fédéral de 2022, l’Assemblée des Premières Nations (APN) avait transmis un train de recommandations préliminaires détaillées. Notamment, elle avait chiffré à 1,2 milliard de dollars sur deux ans la somme nécessaire pour permettre aux communautés autochtones d’explorer et de commémorer les lieux de sépulture anonymes.

Le gouvernement fédéral a répondu en fournissant seulement 209,8 millions de dollars sur cinq ans pour toute une liste de projets, dont un nouvel édifice pour le Centre national pour la vérité et la réconciliation et la divulgation complète des documents fédéraux relatifs aux pensionnats autochtones. Bien que la récupération et la commémoration des tombes anonymes soient incluses dans ce montant, on ne sait toujours pas quelle portion de ce maigre budget sera versée directement aux communautés autochtones et consacrée aux recherches sur les terrains des pensionnats.

Le budget fédéral réserve aussi 65 millions de dollars pour d’autres activités et projets liés à la commémoration des pensionnats, mais, de cette somme, rien n’ira directement aux communautés autochtones. Ce financement est plutôt réservé aux ministères et fonctionnaires fédéraux, ainsi qu’à la GRC en charge des décisions concernant les ressources partagées avec les communautés autochtones. Cette enveloppe se détaille comme suit :

  • 5,1 millions de dollars sur cinq ans à la GRC « pour appuyer les interventions dirigées par la communauté à la suite de découvertes de lieux de sépulture non marqués » ;
  • 10,4 millions de dollars pour « un interlocuteur spécial qui travaillera en collaboration avec les peuples autochtones et formulera des recommandations de changements à apporter en vue de renforcer les lois et pratiques fédérales pour protéger et préserver les lieux de sépulture non marqués » ;
  • 25 millions de dollars sur trois ans pour la numérisation des documents liés au régime fédéral d’externat autochtone ;
  • 25 millions de dollars sur trois ans à Parcs Canada pour appuyer la commémoration des sites des anciens pensionnats autochtones.

Encore une fois, ce sont les ministères et départements du gouvernement qui décideront dans quelle mesure les communautés autochtones auront accès à ce financement.

En fournissant peu de financement directement aux communautés autochtones qui s’engagent dans des recherches sur les sites des pensionnats, non seulement ce budget ne représente-t-il qu’une mince partie de ce qui est vraiment nécessaire, mais il fait fi de tout l’éventail de ressources dont les peuples autochtones ont besoin et dont ils manquent désespérément depuis des décennies.

Et tandis que le budget de 2022 aspirait à « rendre le logement plus abordable », l’APN a souligné que les engagements envers le logement autochtone sont bien en deçà des besoins. Celle-ci chiffre la somme nécessaire à 44 milliards de dollars sur dix ans. Le gouvernement fédéral a choisi de n’avancer que trois milliards de dollars sur cinq ans.

Les réactions de la communauté ont été mitigées. D’une part, l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a fait l’éloge du budget fédéral pour son allocation de fonds au logement inuit, une enveloppe évaluée à 845 millions de dollars sur sept ans. Mais de l’autre, le Congrès des peuples autochtones, qui représente les Indiens inscrits et non-inscrits hors réserve, les Métis et les peuples inuits du Sud, a critiqué le budget comme n’appuyant pas les 80 % d’Autochtones qui vivent hors réserve.

L’Association des femmes autochtones du Canada a également lancé des signaux d’alarme, parce que le budget de 2022 n’inclut pas de financement pour la mise en œuvre des 231 appels à la justice formulés dans le Rapport d’enquête nationale sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées.

Depuis longtemps, des militant(e)s autochtones, des politicien(ne)s et des communautés autochtones réclament d’une seule voix que les peuples autochtones aient leur mot à dire sur la façon dont sont dépensés les fonds alloués aux dossiers et aux communautés autochtones. Le SCFP s’est engagé à leurs côtés dans la réconciliation et la justice pour les peuples autochtones.

En effet, lors du dernier congrès national de notre syndicat, en novembre 2021, les membres ont réaffirmé leur engagement envers la vérité et la réconciliation en adoptant la résolution 66. Ils ont également réagi à la découverte dévastatrice de tombes anonymes, ainsi qu’au besoin de ressources supplémentaires pour les recherches sur les terrains des pensionnats autochtones à travers le pays.

Les congressistes ont également adopté la résolution 60 qui stipule que nous allons collaborer avec d’autres organisations syndicales et d’autres institutions partageant les mêmes idées, pour exiger une recherche et une enquête sur les terrains de tous les pensionnats au Canada, qui seront financées par le gouvernement fédéral et dirigées par des Autochtones. 

Nous continuons de demander à tous les gouvernements du Canada de mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et de fournir des ressources pour remédier à tous les enjeux vécus par les peuples autochtones au quotidien.

Historiquement, le Canada a sous-financé les infrastructures et les services destinés aux communautés autochtones. Cette négligence chronique est à la base d’injustices et de crises. Devant l’insuffisance du budget fédéral de 2022 pour répondre au besoin d’interventions dirigées par les Autochtones et fournir le nécessaire pour trouver et commémorer de manière appropriée des milliers de tombes anonymes à travers le pays, le SCFP continuera de plaider pour un financement juste et équitable. Et nous exigerons que le gouvernement canadien rende des comptes en matière de vérité et de réconciliation.