No to precarious workLa lettre à l’éditeur qui suit est du président national du SCFP, Mark Hancock. Elle est parue dans le Toronto Star du jeudi 2 mars 2017.

Le discours prononcé récemment par le premier ministre Justin Trudeau devant l’élite politique et financière à Hambourg, en Allemagne, a révélé une évidence : l’élection de Donald Trump pousse M. Trudeau à retourner piger dans les tactiques populistes qui lui ont permis de former un gouvernement majoritaire en 2015. Cette fois, par contre, la raison est tout autre.

Il a parlé d’injustice en comparant les profits records des compagnies à la précarité d’emploi croissante de leurs employés. Il a parlé de la nécessité de payer des salaires décents, de la nécessité pour les compagnies de payer leur juste part. Une rhétorique à saveur électorale, qui ne fait que souligner à quel point le gouvernement de M. Trudeau est loin d’accoucher du « vrai changement » promis par son parti.

Le printemps approche à grands pas, ce qui annonce la saison budgétaire à Ottawa. Les habitués font la file pour réclamer leur part des deniers fédéraux. Or, cette année n’est pas comme les autres et le budget 2017 ne devrait pas non plus être comme les autres.

C’est plus clair que jamais : le budget 2017 doit être consacré au progrès des travailleurs. À ce moment même, deux barrières à ce progrès réclament une attention immédiate.

Premièrement, le gouvernement doit boucher toute une série d’échappatoires fiscales qui profitent presque exclusivement aux mieux nantis.

La déduction sur les gains découlant d’options d’achat d’actions coûte au trésor fédéral jusqu’à un milliard de dollars par année. Les deux tiers de cette somme vont dans les poches de 75 personnes ultra-riches. Cette échappatoire doit être abolie immédiatement.

Les déductions pour gains en capital permettent aux sociétés de payer moitié moins d’impôt sur l’argent qu’elles tirent de leurs investissements, alors que le citoyen ordinaire doit payer de l’impôt sur 100 % de son chèque de paye. Pourtant, l’investissement privé stagne et les sociétés gardent leurs surplus dans leurs bas de laine. Ça aussi, il faut que ça change.

Rappelons aussi que certaines des plus grosses multinationales en activité au Canada font des affaires sans payer un seul sou d’impôt. Par exemple, Uber exploite l’économie numérique depuis plusieurs années, sans payer d’impôt au Canada. Il faut que ces compagnies se mettent à payer leur juste part.

Et soyons clairs, ces échappatoires sont plus que les symboles d’une époque où il existait deux ensembles de règles, l’un pour les super-riches, l’autre pour le reste des contribuables. Ils représentent des milliards de dollars en recettes fiscales qui ne vont pas à un programme national de garderies, à la consolidation des soins de santé, au financement d’une transition vers une économie écologique ou à l’élimination des avis d’ébullition d’eau dans les réserves autochtones. On parle de milliards de dollars qui pourraient servir à aplanir les inégalités et à assurer aux travailleurs une qualité de vie décente.

Deuxièmement (et ce n’est un secret pour personne), la nature de notre économie se transforme. Les travailleurs, jeunes et vieux, le sentent dans toutes les fibres de leur corps.

Partout au Canada, les emplois à temps partiel, temporaires, sans avantages sociaux, sans protections au travail ou sans sécurité du revenu, s’imposent comme la nouvelle norme. Quatre Canadiens sur dix occupent un emploi à faible rémunération. En 2004, en Ontario, un travailleur sur cinq gagnait moins d’une fois et demie le salaire minimum. Aujourd’hui, ce ratio est d’un sur trois. La moitié des travailleurs du Grand-Toronto et de Hamilton occupent un emploi « précaire ».

La montée de la précarité affecte tout le monde, qu’on soit dans le secteur public ou privé, en ville ou en campagne. Les employés de bibliothèque, les graphistes, les aides-enseignants, les ouvriers spécialisés, et j’en passe. Des professionnels fiers de leur travail important, qui aiment ce qu’ils font et qui sont contraints, de plus en plus, de vivre d’un chèque de paye à l’autre, sans avantages sociaux et sans savoir s’ils auront encore du travail l’an prochain, le mois prochain, voire la semaine prochaine.

Le budget 2017 doit s’attaquer de front à la montée de la précarité d’emploi, que ce soit en élargissant l’accès à l’assurance-emploi ou aux pensions pour couvrir plus de travailleurs précaires, ou encore en dressant une stratégie, avec les provinces et les territoires, afin de faire entrer nos lois du travail dans le 21e siècle.

Le Canada n’est pas immunisé contre le type d’angoisse et de rage qui a chamboulé l’ordre politique chez nos voisins du sud. Et, pour en contrer les causes profondes, il faudra plus que de belles paroles.

Ils sont révolus les jours où les gouvernements accordaient d’énormes subventions aux super-riches en annonçant aux autres que la bourse est vide. M. Trudeau l’a reconnu à Hambourg, lorsqu’il a déclaré que « les écarts grandissants provoquent une perte de confiance à l’égard des gouvernements. »

Je suis convaincu que le premier ministre a compris que le plus difficile, ce n’est pas de faire des promesses ; c’est de gouverner et de remplir ses promesses. Rédiger un budget et faire des choix sur les priorités est toujours difficile. Mais heureusement pour M. Trudeau, ce choix devrait être facile à faire cette fois.

Les Canadiens ne devraient plus avoir à attendre que M. Trudeau tienne promesse. Les déceptions commencent déjà à s’accumuler. Avec le budget 2017, le premier ministre a l’occasion idéale de faire taire le cynisme croissant, de ramener l’équité dans notre système fiscal et surtout d’améliorer le sort du travailleur moyen. Espérons qu’il saisira cette chance.