Tara Paterson | Employée du SCFP

Alors que la pandémie entre dans sa troisième année, il n’est pas surprenant que de nombreux travailleurs et travailleuses vivent des problèmes de santé mentale. Selon un sondage réalisé en janvier par le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le quart des personnes interrogées éprouvaient de l’anxiété et 22 pour cent se sentaient déprimées.

Et c’est encore pire chez les femmes. Dans le même sondage, les cas d’anxiété, de solitude et de dépression signalés par les femmes avaient augmenté considérablement depuis six mois. Chez les hommes, l’augmentation était légère. Notons que le questionnaire n’incluait pas d’autres identités de genre.

Les résultats du sondage ne sont pas surprenants puisque, depuis le début de la pandémie, les femmes qui constituent la majorité de la main-d’œuvre en première ligne, s’occupent aussi de la grande majorité des obligations familiales non rémunérées.

« Après deux ans à travailler en milieu souvent dangereux tout en devant s’occuper des enfants, les femmes sont fatiguées, épuisées, leur santé mentale est au plus bas », a expliqué Susan Gapka, membre du SCFP 2998 et militante en santé mentale.

La plupart des secteurs jugés essentiels pendant la COVID-19 (santé, petite enfance, soins de longue durée) sont presque entièrement constitués de femmes. « Beaucoup de femmes qui travaillent en première ligne pour assurer notre sécurité à tous et à toutes sont également racisées, autochtones, nouvelles arrivantes ou jeunes », a rappelé Susan Gapka.

Ces travailleuses signalent certaines des pires répercussions sur la santé mentale, ainsi 37 pour cent d’entre elles souffraient d’anxiété modérée à grave au moment de la réalisation du sondage en janvier.

Rosemary Buote, membre du SCFP 6364, remarque que « bon nombre de travailleuses de la santé ont des quarts de travail de 12 heures. Nos quarts peuvent se terminer jusqu’à minuit. Ainsi, à la sortie du travail, nous n’avons pas beaucoup d’ami(e)s ou de proches disponibles avec qui discuter ou “se défouler”. Nous passons beaucoup de temps seules à cause de cela. Si on ajoute la fatigue de travailler de longues heures stressantes dans le chaos, il ne nous reste plus rien à donner à notre famille. Même faire la cuisine devient une corvée. »

Le risque accru d’exposition au virus que courent les travailleuses de première ligne est stressant en soi. Le poids psychologique qu’elles supportent est toutefois évitable.

Malheureusement, les gouvernements et les employeurs n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger le personnel, en particulier les travailleuses, contre les risques physiques et psychosociaux.

« Les gestionnaires enfermaient les masques N95 dans leurs bureaux. Ils appliquaient des politiques COVID-19 inférieures aux normes, alors que nous étions dangereusement surmenées et en sous-effectif », a souligné Rosemary Buote.

« Le fardeau qui pèse sur les épaules des travailleuses de la santé et des soins de longue durée n’est pas la faute de celles-ci, mais d’un gouvernement et d’employeurs qui placent le profit avant les gens et qui nous ont donné à peine les normes minimales auxquelles on s’attendrait en situation de crise ou de pandémie », a-t-elle ajouté.

« On s’attend à ce que nous allions travailler dans un endroit plein de maladie, de stress et souvent de chaos, puis de rentrer chez nous, dans notre communauté, comme si de rien n’était, pour trouver notre propre chemin à travers la pandémie, et recommencer le lendemain », a poursuivi Rosemary Buote, membre du SCFP 6364.

Même pour les personnes qui ne sont pas en première ligne, les employeurs doivent reconnaître les difficultés particulières auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes qui font du télétravail, en particulier celles qui ont des responsabilités familiales.

Plusieurs provinces ont mis en place divers congés d’urgence pendant la pandémie pour permettre aux gens de prendre le temps de s’occuper des membres de leur famille et d’autres problèmes de santé. Mais la plupart de ces congés ne sont pas payés. Peu de gens peuvent donc se les permettre.

Tous les codes des droits de la personne au Canada incluent la situation familiale à la liste des motifs protégés, sauf celui du Québec. Le Québec protège « l’état matrimonial », ce qui revient essentiellement à la même chose. Cette protection signifie que l’employeur a l’obligation légale d’accommoder les parents et les personnes ayant des responsabilités familiales, jusqu’au point de « contrainte excessive ».

Trop souvent, les employeurs manquent à cette obligation.

Les militant(e)s du SCFP réclament des accommodements raisonnables et un accès plus facile à d’autres soutiens en santé mentale. Pourtant, beaucoup font face à des représailles pour s’être exprimés.

Selon Rosemary Buote, « le personnel de la santé est dans une position particulière en matière de vie privée et de confidentialité. On nous apprend l’importance de partager nos sentiments et notre vécu, mais nous sommes limités dans ce que nous sommes autorisés à partager d’un point de vue moral et juridique. »

Ces travailleuses et travailleurs ne sont pas autorisés à partager les interactions et les expériences vécues. « Celles-ci sont trop troublantes pour être répétées et la plupart des gens ne nous croiraient même pas. La peur des représailles semble éclipser le message selon lequel chacun a la responsabilité et le devoir de dénoncer les conditions de travail dangereuses d’un point de vue physique ou psychologique », a-t-elle ajouté.

Certains employeurs utilisent même la pandémie comme excuse.

« Nous avons eu beaucoup de difficulté à négocier de meilleurs avantages sociaux et des soins de santé mentale. L’employeur n’a pas bronché, prétextant l’incertitude entourant la pandémie », a expliqué Susan Gapka.

Pourtant, elle et de nombreuses autres travailleuses sont déterminées à faire le travail sur le terrain.

Elle et ses collègues du secteur des services sociaux ont été témoins des effets des compressions dans les services publics, y compris dans les soins de santé mentale. Elles ont aidé, tout en faisant du télétravail, à fournir de la nourriture aux personnes qui vivent sous une tente dans un parc de Toronto. « Nous avons travaillé dur pour fournir les services dont les gens, en particulier les femmes, ont besoin et que nos gouvernements refusent d’offrir », a-t-elle mentionné.

« Je sais que c’est vraiment difficile en ce moment pour beaucoup de femmes, en particulier les femmes trans, les femmes de la rue, les femmes qui sont marginalisées », a souligné Susan Gapka.

Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux fédéraux ont promis un transfert de 4,5 milliards de dollars pour la santé mentale. Les fonds seront presque certainement assortis de conditions. Les provinces doivent donc être prêtes à respecter ces normes.

Rosemary Buote reconnaît qu’il existe certains services de crise, mais les listes d’attente sont très longues, parce que la plupart des gouvernements provinciaux n’ont pas fait les investissements nécessaires.

Le financement fédéral devrait aider. Néanmoins, selon elle, « nous devons regarder au-delà de l’immédiat et élaborer un plan à long terme pour les travailleuses et les travailleurs de la santé, ainsi que les membres de leur famille au moment où nous travaillons à la relance postpandémie ».

L’amélioration de la santé mentale des femmes nécessitera plus qu’une injection ponctuelle d’argent. Nous avons besoin que les employeurs et les gouvernements intensifient leurs efforts pour s’attaquer aux risques psychosociaux, à la crise dans les tâches de soins rémunérées et non rémunérées, et qu’ils investissent dans les services que les femmes fournissent et dont elles ont besoin.


À propos de Rosemary Buote

Rosemary Buote est vice-présidente de site pour Oshawa et Whitby au sein du SCFP 6364, qui représente le personnel hospitalier de la Municipalité régionale de Durham, en Ontario. Elle est représentante en santé et sécurité au Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario et elle siège au comité de coordination du personnel de la santé.

Elle est également représentante du secteur de la santé et coprésidente du Comité de santé et de sécurité et des accidents de travail du SCFP-Ontario. Elle siège au Comité national de santé et de sécurité du SCFP.

À propos de Susan Gapka

Susan Gapka est une militante infatigable de l’équité à l’intérieur et à l’extérieur de notre syndicat. Depuis longtemps, elle milite pour les droits des femmes et de la communauté 2LGBTQ+, réclamant plus de logements abordables et de meilleurs soins en santé mentale.

Elle a siégé aux Comités du triangle rose du SCFP-Ontario et du SCFP national, ainsi qu’au Comité des femmes du SCFP-Ontario. Elle est la première femme trans à siéger au Conseil exécutif du SCFP-Ontario.

Au congrès national du SCFP de 2021, Susan Gapka a reçu le prix Grace-Hartman pour son travail exceptionnel.