Lisa Djevahirdjian | Employée du SCFP
En décembre 2022, à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, le Congrès du travail du Canada (CTC) a souligné le travail exceptionnel de Sylvain Le May en lui remettant le prix Carol-McGregor pour les droits des personnes ayant un handicap. Membre du SCFP et syndicaliste de longue date, Sylvain Le May est un militant hors pair et une inspiration pour nous tous et toutes.
De 2007 à 2021, Sylvain Le May a été responsable du Service d’accueil et de soutien aux étudiant(e)s en situation de handicap à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il siège actuellement sur les comités représentant les personnes en situation de handicap au SCFP, au CTC, ainsi qu’à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Depuis 2017, il est membre à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et, depuis 2022, membre au conseil d’administration de la Société de transport de Montréal, où il représente les usagers et usagères du transport adapté.
Question 1
Vous rappelez-vous la première fois que vous avez été interpellé par une situation qui vous a conscientisé sur l’importance de la diversité des droits pour le bien collectif ?
À l’âge de 18 ans, j’étais moniteur dans un camp de vacances pour jeunes en situation de handicap et j’ai réalisé que le handicap cachait souvent des entraves à ce que je considère être l’accès à une vie digne. Par exemple, le handicap cachait la pauvreté vécue par certaines personnes, le manque d’accès à la culture, du racisme ou des problèmes de santé mentale.
Mon parcours m’a fait prendre conscience que je suis la somme de tout ce que je suis, comme tout le monde. Je suis, entre autres, un homme, homosexuel gai, éduqué, avec un handicap. Il faut démontrer qu’en arrêtant de cacher nos différences, d’autres le feront et nous en sortirons tous et toutes gagnant(e)s. Pour moi, la seule norme possible est la diversité !
Avoir un handicap est souvent ce qui nous définit, mais il n’est pas nécessaire que cela en soit ainsi. Ce n’est là qu’une partie de mon identité. Je ne suis pas juste « un handicap ». Je trouve important, pour le bien collectif et pour une société plus riche de l’ensemble de ses composantes, de travailler à l’accueil et au soutien des personnes en situation de handicap.
Question 2
Et de quelle façon percevez-vous que tout le monde pourrait en profiter ?
Comme nous vieillissons tous et toutes, nous sommes donc tous et toutes à vitesse variable en perte d’autonomie. L’inclusivité exercée sur la place publique va permettre l’accessibilité non seulement aux personnes en situation de handicap aujourd’hui, mais aussi aux citoyen(ne)s qui ne savent même pas qu’un jour cette accessibilité leur sera utile et nécessaire.
Autre exemple : pourquoi ne pas installer plus bas les interrupteurs dans l’ensemble des constructions afin d’assurer l’accessibilité à des logements pour toutes les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ? Nul doute que les personnes qui ont des enfants se réjouiraient également de la hauteur de ces interrupteurs !
Question 3
Quel est le rôle du mouvement syndical dans la défense des droits des personnes en situation de handicap ?
En plus d’en avoir l’obligation, les syndicats sont parfaitement bien placés et outillés par les divers comités et groupes de travail qui les composent pour veiller sur les milieux de travail afin de garantir l’accessibilité.
Le principal devoir du syndicat, c’est de défendre les membres. Il s’est doté de tout ce qui est nécessaire pour monter les dossiers afin que les droits de la personne soient entendus, et ce, dans le but d’assurer à chaque individu le plein exercice de ses droits et libertés et de lutter véritablement contre toute forme de discrimination. C’est là l’origine même des syndicats.
Ces derniers doivent être proactifs. Ils peuvent et doivent ouvrir le chemin pour les personnes vulnérables et prêcher par l’exemple. C’est ce qu’ils ont fait par le passé en ce qui concerne le droit du travail et, finalement, même les non-syndiqué(e)s ont fini par en profiter.
Pour les personnes en situation de handicap, il faut innover et démontrer que le parcours est possible malgré une différence ou une difficulté. Les syndicats sont aussi en bonne posture pour faire de l’éducation sur ces enjeux. Ce devoir d’éducation est majeur, car il repose sur le dialogue et, sans dialogue, rien n’est possible. Ce défi est encore plus vrai et plus grand lorsqu’il s’agit de handicaps non visibles.
Question 4
Est-ce que la société canadienne est un exemple à travers le monde quant aux droits des personnes en situation de handicap ?
Bien que la situation soit imparfaite, le Canada est et doit être un acteur majeur de changement. De par sa fondation par deux peuples fondateurs, le Canada a dans son ADN l’ouverture nécessaire à l’autre. Notre histoire commune le démontre largement. Dans ce contexte, la réconciliation avec les peuples autochtones est le prochain pas et ceci doit définir la suite de nos histoires communes, riches d’un dialogue et fortes de nos différences. Nous devons viser un meilleur vivre-ensemble et faire preuve d’ouverture. Il nous faut éviter les raccourcis intellectuels.
Un grand geste d’ouverture, par exemple, serait d’apprendre à dire quelques mots dans une langue autochtone ou encore en langue des signes. Il en va de même pour nos deux langues officielles.
Le Canada est aussi une terre d’immigration. Dans ce contexte, le vivre-ensemble, c’est mettre ensemble nos différences au sein d’un projet commun. Ce projet pourrait être de bâtir une société plus juste et plus équitable où chacune des personnes sur le territoire de ce grand pays sera en mesure de participer et de contribuer à son avancement.
J’ai toujours été convaincu que l’empathie n’est possible qu’à partir du moment où l’on connait un peu l’histoire de l’autre. Mais dans un monde bombardé par une marée de nouvelles, prendre le temps nécessaire à cet échange est malheureusement de plus en plus rare.
Connaître l’histoire de l’autre, c’est en quelque sorte lui permettre de faire partie de la nôtre, c’est ouvrir la porte du cœur.
Question 5
Quelle est votre plus grande fierté ?
Je suis d’abord fier de l’éducation que mes parents m’ont léguée, éducation qui fait de moi aujourd’hui en grande partie l’homme que je suis. Ils étaient tous les deux des ouvriers et ils ne m’ont jamais freiné dans mes rêves et mes possibilités pour les réaliser.
Mes deux autres grandes fiertés relèvent du domaine professionnel.
La première, c’est d’avoir le sentiment d’avoir été en mesure d’influencer positivement des gens dans leur parcours de vie. Je suis heureux de cet accompagnement et d’avoir fait tomber certains obstacles quant à la perception à l’égard des personnes en situation de handicap.
À travers mon travail, j’ai vu certaines personnes s’accomplir et cela me donne le sentiment d’avoir été utile, d’avoir été en mesure de faire une différence, si minime soit-elle. Parfois, notre attitude envers les personnes peut être beaucoup plus handicapante qu’un obstacle architectural. L’inclusion, c’est beaucoup plus large que le simple fait de prévoir une place de stationnement réservée.
Bien sûr, recevoir le prix du CTC me rend très fier, mais cette fierté n’aurait aucun sens si je ne partageais pas ce prix avec l’ensemble des personnes qui tentent également dans leur quotidien de faire une différence.
C’est par un ensemble de petits gestes que nous finissons par faire une grande différence.
Deuxièmement, je suis fier d’être coprésident du chantier Agir pour l’équité et l’inclusion des personnes en situation de handicap, une initiative formidable de mon université, l’UQAM, pour accroître l’équité, la diversité et l’inclusion au sein de ses structures et pratiques dans l’ensemble de la communauté universitaire.
Question 6
À quoi rêvez-vous ?
Je rêve d’une société inclusive, rassembleuse et fière de chacune des personnes composant son tissu social, tissu riche autant par ses formes, ses couleurs, que par les origines qui le définissent. Notre société sera alors à l’image des courtepointes de ma grand-mère : porteuse de sens.