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L’entreprise sociale et les obligations d’impact social sont des concepts dynamiques pour décrire de nouvelles façons d’utiliser des modèles et des solutions de marché pour s’attaquer à des problèmes sociaux et financer ces interventions. Les contrats fondés sur les résultats sont des instruments assez bien compris dans le secteur des affaires, mais leur application aux programmes sociaux est relativement récente. En fait, il s’agit de deux approches distinctes, mais reliées, qui sont mises de l’avant pour permettre au gouvernement d’impartir les services publics et de réduire ainsi la part de son budget affecté aux programmes sociaux.

  

Entreprise sociale

Paul Martin a mis de l’avant le concept du «secteur tertiaire» ou de l›économie sociale dans sa vision du budget fédéral canadien de 2005. L›économie sociale, ou le secteur tertiaire, est cette partie de l›économie située entre les secteurs privé et public et composée des organismes bénévoles, des organismes de bienfaisance ou philanthropiques, des entreprises sociales et des coopératives. L›économie sociale et des concepts qui s’en rapprochent ont été promus et mis de l’avant dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, en Australie et en Grande-Bretagne. Plus récemment, Paul Marin a fait partie du Groupe de travail canadien sur le financement social. Ce groupe de travail s’est penché sur la façon dont le Canada pouvait stimuler l’investissement privé de manière à générer non seulement de la valeur économique, mais également de la valeur sociale et environnementale.

Dans le domaine de l’entreprise sociale, on cherche à appliquer des stratégies commerciales à des objectifs sociaux. Michael Edwards, ex-directeur de la Ford Foundation, fait une critique de ce mouvement qui promet de sauver le monde en appliquant la magie du marché aux défis que pose le changement social. Dans son ouvrage, Small Change Why Business Won’t Save the World, il démontre qu’en réalité une approche marchande fait davantage de tort que de bien. Voici quelques-uns des concepts présentés dans son livre :

  • Les entrepreneurs sociaux sont des gens qui interviennent de façon entrepreneuriale, mais pour le bien commun ou social plutôt que pour faire du profit.
  • Les entreprises sociales sont des entreprises à but lucratif créées pour répondre à des besoins sociaux ou environnementaux.
  • Les entreprises à caractère philanthropique s’appuient sur des principes d’affaires pour soutenir la mission sociale des fondations et susciter d’autres formes de dons.

En Grande-Bretagne, ces idées ont été regroupées dans la plateforme électorale de David Cameron autour de la thématique de la Big Society. Bon nombre des principaux promoteurs de l’entreprise sociale y voient une autre façon de privatiser les services gouvernementaux. C’est dans cette perspective qu’il faut examiner le phénomène.

Selon Unison et d’autres critiques, la Big Society entraîne une diminution des services publics fournis par l›État et élargit la définition de « société civile » pour inclure les organismes à but lucratif qui joueront un rôle accru dans la prestation des services publics. La Big Society correspond au recours accru à des bénévoles pour fournir des services publics essentiels. C’est cette notion qui semble avoir prise sur le gouvernement conservateur au Canada.

Certains des principes implicites de l’entreprise sociale ont du bon sens: l’habilitation des collectivités, l’encouragement de la réciprocité et la stimulation de la solidarité et de la compassion au sein de la société. Toutefois, on ne doit pas se servir des principes positifs qui sous-tendent l’idée d’une société bonne, juste et active pour entraver la prestation de services de qualité dans le secteur public. David Cameron soutient qu’en « diminuant la taille de l›État, on fera progresser la société » et qu’une « société forte parviendra à régler nos problèmes beaucoup plus efficacement que le gouvernement n’y est parvenu dans le passé et pourra le faire à l’avenir ». La grande faiblesse de cette vision consiste à opposer un secteur public fort à une société civile forte et dynamique alors qu’en réalité les deux concepts ne vont pas à l’encontre l’un de l’autre. Par exemple, la Suède est un bon exemple d’une vision autre, à savoir celle d’un secteur public fort qui côtoie une société civile dynamique.

  

Paiement fondé sur les résultats

Deloitte et Touche ont produit un rapport à la fin de 2011 intitulé, Hit the Ground Running:  Five critical success factors in contracting for outcomes.  La firme a souligné que le paiement fondé sur les résultats (ou les contrats fondés sur les résultats) était une façon de plus en plus fréquente d’impartir les services publics. La méthode est différente de la formule traditionnelle puisqu’il est question de résultats et non de production. Elle est envisagée comme solution pour les contrats liés à l’assistance sociale et à d’autres services publics, comme les programmes de transition de l’aide sociale au marché du travail, de réadaptation des prisonniers, de lutte contre la toxicomanie et de services à l’enfance. Deloitte et Touche soulignent dans leur rapport qu›à l’avenir les fournisseurs de contrats fondés sur les résultats seront probablement des consortiums réunissant de grandes entreprises d’externalisation et des entreprises et organismes philanthropiques de plus petite taille.

Les obligations d’impact social sont vues comme un instrument de financement de ces contrats. Au moyen d’obligations d’impact social, on utilise des capitaux privés pour payer des services visant l’atteinte d’un résultat social. Deloitte et Touche observent qu’il s’agit d’un nouveau marché qui n’a pas encore fait ses preuves. Selon eux, les obligations d’impact social ne sont pas encore un investissement attrayant pour les prêteurs.

La stratégie de paiement fondé sur les résultats repose sur l’adoption de mesures de succès qui en contrepartie déclenchent des paiements. Voici un exemple de « paiement fondé sur les résultats » dans le domaine des services sociaux. Il s’agit du projet pilote lancé par le gouvernement de l’Ontario pour examiner dans quelle mesure un programme de réinsertion sur le marché du travail de personnes bénéficiaires d’aide sociale offert dans le secteur privé serait plus efficace si on avait recours au paiement/contrat fondé sur les résultats. 

« Nous n’avons pas observé de diminution supplémentaire de l’aide sociale attribuable au programme JobsNow », peut-on lire dans le rapport sur le projet pilote daté 10 octobre 2008 et produit par la firme de consultation en gestion d’Ottawa, Goss Gilroy Inc. « En fait, JobsNow ne s’est pas avéré plus efficace que les programmes réguliers d’Ontario au travail ».

Le programme JobsNow Ontario a été livré par WCG International Consultants Ltd, une société avec un siège social au centre-ville de Victoria qui a été vendue par la suite à Providence Service Corporation, une entreprise de l’État de l’Arizona. L’Ontario a versé des honoraires d’incitation au rendement de 7,6 M$ à WCG même si les programmes de l’entreprise n’ont pas donné de meilleurs résultats que ceux offerts par le ministère. Le gouvernement a annulé le programme une fois le projet pilote terminé.

La formule du paiement/contrat fondé sur les résultats dans le secteur social est une tendance croissante en Grande-Bretagne. Toutefois, on reconnaît que seules de grandes entreprises commerciales d’externalisation ont la capacité de concurrencer pour l’obtention de contrats utilisant ce modèle. Cela étant, le gouvernement a introduit les obligations d’impact social pour permettre aux petites entreprises sociales et au secteur tertiaire de participer.

  

Obligations d’impact social

Les obligations d’impact social sont un moyen de financer des entreprises sociales et des projets qui emploient la formule du paiement fondé sur les résultats. Les obligations d’impact social exigent de négocier un contrat avec le gouvernement et de s’entendre sur des mesures de résultats. Une fois le contrat en place, on sollicite des capitaux auprès d’investisseurs non gouvernementaux. On demande à des philanthropes, des entreprises sociales et d’autres investisseurs d’avancer des fonds pour soutenir les projets commandés et fournis par des organismes publics. Les organismes sont rémunérés par le gouvernement sur la base des résultats obtenus et le « rendement sur l’investissement » est le montant versé au-delà de l’avance de fonds initiale. Les investisseurs peuvent ne rien recevoir si les cibles ne sont pas atteintes. Les obligations d’impact social sont l’équivalent d’initiatives de financement privé (partenariats publics-privés) pour le secteur social.

Selon Mark Rosenman, directeur de Caring to Change, les obligations d’impact social sont la plus récente initiative mise de l’avant pour commercialiser le financement du secteur sans but lucratif. Il s’agit de fournir aux organismes sans but lucratif une façon de financer leurs programmes et de fournir aux investisseurs une façon d’obtenir un rendement financier sur leur investissement lorsque les programmes en question permettent au gouvernement d’économiser, par exemple en réduisant le nombre d’ex-détenus récidivistes. Au lieu d’utiliser les recettes générales pour financer des programmes sociaux, les gouvernements émettent des obligations de haute qualité sur les marchés des capitaux privés. Ils sont tenus d’utiliser un contrat fondé sur un modèle de résultats et de s’appuyer sur des paramètres pour monétiser les résultats des programmes sans but lucratif qui sont aptes à démontrer une valeur économique quantifiable. Les organismes de bienfaisance qui font la preuve d’avoir atteint les cibles établies dans le contrat intervenu avec le gouvernement recevront, par la suite, une partie des économies réalisées grâce aux services qu’ils ont rendus et les investisseurs recevront des intérêts sur leur investissement. Mark Ronseman en fait la critique de ce modèle dans Let’s Stop Commercializing Services for the Needy.

Le projet d’obligations d’impact social le plus connu est celui de Peterborough. Le financement de cette obligation est venu d’un investissement de 5 millions de livres provenant d’organismes philanthropiques et de particuliers. Fait à noter, il ne semble pas y avoir eu d’investissements provenant de nouvelles sources commerciales. Travaillant avec un groupe d’agences de services sociaux, d’organismes philanthropiques et la Social Finance, Ltd, le gouvernement du Royaume-Uni a mis en place un programme pilote pour diminuer le taux de récidivisme des ex-détenus. Le programme vise une population cible de la prison de Peterborough, un établissement carcéral privé exploité par Sodexho. Les parties se sont entendues sur des paramètres de rendement et sur une réduction 7,5 pour cent de récidivisme au sein de la population ciblée. Des groupes témoins ont été établis dans 30 autres établissements carcéraux similaires pour mesurer les résultats du projet pilote. Si le taux de récidivisme n’est pas réduit de 7,5 p. cent, les investisseurs ne recevront pas de paiement.

Dexter Whitfield a également écrit au sujet des obligations d’impact social et il a examiné l’obligation d’impact social de Peterborough dans un article récent intitulé, The payment-by-results road to marketisation.

Un marché d’investissements sociaux a pour objet de permettre à des projets sociaux d’obtenir des fonds privés et de fournir du rendement financier par l’entremise d’obligations ou d’investissements équitables. Le gouvernement investit pour promouvoir une nouvelle gamme de « produits d’investissements ». Monsieur Whitfield arrive à cette conclusion :

En réalité, les marchés sociaux sont une nouvelle forme de « financialisation », un moyen de transférer aux particuliers le risque et la responsabilité afin de réduire l’importance de l›État providence. On introduit de nouveaux frais de services et les budgets personnels remplacent la prestation de soins de santé et de services sociaux dans le secteur public, les régimes de retraite privés et le financement privé des immeubles publics.

Pour comprendre les marchés sociaux, il faut les placer dans leur contexte plus global, c’est-à-dire dans la financialisation soutenue, la personnalisation, la commercialisation et la privatisation des services publics et de l›État providence (Whitfield, 2011). Au delà de la rhétorique des contrats, de la localisation, de la Big Society et de l’habilitation, il faut voir que les services publics sont en train d’être fragmentés et commercialisés. La privatisation s’est mutée en une multitude de nouvelles formes conçues pour étendre et accentuer le rôle du secteur privé dans la conception et la prestation des services publics.

Selon le budget fédéral 2012, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada explore actuellement le concept de « partenariats dirigés par les collectivités »,  notamment le paiement fondé sur des ententes de rendement et la mobilisation de sources de financement privées, comme les « obligations d’impact social ». Ces propositions, tout en semblant attrayantes à première vue pour les organismes qui ont perdu le financement de leurs importants projets sociaux, peuvent par ailleurs être très problématiques, entraînant une commercialisation des services sociaux et un accroissement des risques pour les organismes et donnant des résultats douteux.

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