Voici un éditorial du président national du SCFP, Mark Hancock, paru dans l’édition du 11 décembre 2017 du Toronto Star.
Quand on fait le bilan des initiatives canadiennes en matière de commerce international au Canada, on constate que le gouvernement peine à contrôler une situation chaotique. On a qu’à penser à la renégociation de l’ALÉNA où les États-Unis ont le gros bout du bâton, à la nouvelle tentative de conclure un Partenariat transpacifique ou à un possible accord commercial avec la Chine duquel notre premier ministre a pris ses distances avec fracas ces dernières semaines.
Le Canada a beaucoup à perdre. Nous vivons dans une économie mondiale où il est essentiel d’entretenir de fortes relations commerciales. Cela dit, trop souvent, nos dirigeants nous enferrent dans des accords qui nous font reculer, plutôt qu’avancer.
Partout au pays, des citoyens et même des économistes traditionnels commencent à comprendre qu’on n’a pas à accepter de mauvais accords commerciaux et qu’on peut se retirer d’un accord qui ne profite pas aux travailleurs et à l’économie du Canada. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête.
L’ALÉNA en est un parfait exemple. Depuis son adoption il y a près de 25 ans, le Canada est devenu le pays le plus poursuivi par des investisseurs étrangers dans le monde industrialisé, avec 40 poursuites en vertu de l’article 11 de l’ALÉNA. Près de 250 millions de dollars ont d’ailleurs été versés à des entreprises privées en vertu de ces poursuites.
Voilà qui fait mal au trésor public, mais pire, cela porte atteinte au droit des gouvernements à prendre et à faire respecter les décisions qu’ils prennent démocratiquement. Soulignons que personne n’a réussi à poursuivre les États-Unis en vertu de l’article 11.
De plus, l’ALÉNA nous a fait perdre un grand nombre d’emplois manufacturiers. Il a aussi mis en danger nos ressources publiques, comme l’eau, ainsi que notre environnement.
De nombreux organismes et individus ont pourtant sonné l’alerte pendant et depuis la négociation initiale de l’ALÉNA. Le SCFP et des groupes comme le Conseil des Canadiens et Alternatives pour les Amériques ont réclamé une véritable consultation, des protections pour les travailleurs, des mesures pour réduire les inégalités et l’inclusion de protections environnementales, mais les négociateurs ont préféré écouter les puissantes entreprises privées.
Les partisans d’un libre-échange à tout crin parlent d’apocalypse économique dès qu’on s’inquiète des droits des travailleurs ou de la protection de l’environnement. Jusqu’à présent, ils ont réussi à dominer le débat. Or, la semaine dernière, la Banque de Montréal a publié un rapport intitulé « Le lendemain de l’ALÉNA » présente un tout autre portrait. Selon l’économiste en chef de la banque, Doug Porter, un retrait de l’ALÉNA aurait des désavantages économiques à court terme, mais on pourrait les atténuer en réalignant les priorités commerciales et la politique monétaire du pays. Autrement dit, le ciel ne nous tomberait pas sur la tête.
C’est, à peu de choses près, ce que les organismes comme le SCFP répètent depuis les années 1990. En fait, cela prouve que le Canada peut se retirer de l’ALÉNA s’il n’arrive pas à conclure un accord qui respecte les travailleurs, les communautés et l’environnement.
Nous ne sommes pas en train de dire qu’il n’y aurait aucune conséquence : la fin de l’ALÉNA toucherait gravement certains secteurs et certaines régions du Canada. Mais on peut accueillir avec scepticisme la rhétorique tordue qui sert trop souvent à écarter les préoccupations valides à l’égard de notre approche en matière d’accords commerciaux.
Actuellement, l’avenir de l’ALÉNA, d’un nouveau Partenariat transpacifique et d’un éventuel accord avec la Chine est imprévisible. Une chose est sûre toutefois : le premier ministre Trudeau et ses ministres sont impatients de conclure un accord quel qu’il soit. Les Canadiens devraient d’ailleurs s’en inquiéter.
Le premier ministre mérite des félicitations pour avoir fait preuve de fermeté cette semaine lors de ses pourparlers avec les représentants chinois, comme pour avoir réclamé de meilleures protections pour les travailleurs dans le cadre de l’ALÉNA et du PTP. De plus en plus, il reconnaît le scepticisme croissant et fort compréhensible des citoyens envers un libre-échange non encadré.
Ça fait du bien d’entendre Justin Trudeau reconnaître l’importance de signer des accords bons pour tout le monde au lieu d’être bons uniquement pour les ultra-riches. Sauf qu’il est difficile de croire à ses platitudes et à sa rhétorique. Où cela nous mènera-t-il ? Sur le même chemin déjà emprunté, avec une dégradation des services publics et une diminution du pouvoir des gouvernements à réglementer dans l’intérêt de la population ? Non, plus jamais.
Les Canadiens méritent des accords de libre-échange qui résistent au passage du temps. Nos dirigeants ne peuvent plus se contenter de qualifier les ententes de progressistes. Nous voulons de la reddition de comptes et de la transparence dans la négociation d’accords. Le gouvernement doit aussi tenir compte de l’avis de la population.
En 2018 et au-delà, on ne devrait plus voir les accords sur le commerce et l’investissement comme une fin en soi, mais comme des outils favorisant un développement juste et durable. La création de bons emplois, un processus démocratique fort et de solides protections pour les communautés et l’environnement doivent être au cœur de tout accord commercial véritablement progressiste.