Angella MacEwen | Économiste
La dernière récession au Canada a pris fin il y a près de dix ans. Pourtant, les gouvernements provinciaux continuent de demander aux syndicats du secteur public de se serrer la ceinture. L’économiste principale du SCFP, Angella MacEwen, explique pourquoi, malgré une meilleure santé économique, le salaire des travailleurs du secteur public a à peine évolué en une décennie. Elle nous démontre aussi pourquoi la bataille contre l’austérité sera gagnée à la table de négociations. Pour en savoir plus, vous pouvez lire notre entretien avec Angella.
Une décennie de faible croissance économique
La récession de 2008-2009 a été moins grave au Canada qu’aux États-Unis, en grande partie parce que la demande mondiale pour le pétrole et les autres ressources naturelles n’a pas diminué. La vigueur des salaires, de l’emploi et de la croissance économique dans les trois provinces productrices de pétrole a masqué une reprise plus faible dans le reste du pays.
En retour, l’effondrement des prix du pétrole en 2014 s’est fait sentir à l’échelle canadienne. Toutefois, en 2016, la croissance économique s’était stabilisée et, à la fin de 2017, le taux de chômage se dirigeait vers son plus bas niveau en 40 ans dans presque toutes les régions. Compte tenu de la force de ces indicateurs économiques, les salaires auraient dû augmenter plus rapidement. Or, leur croissance moyenne est bloquée à 2,5 pour cent. De plus, les salaires du secteur public augmentent encore plus lentement que ceux du privé. Dans la plupart des provinces, ils ne suivent même pas l’inflation.
Quand l’austérité s’arrêtera-t-elle ?
La dernière récession au Canada a pris fin il y a près de dix ans. Pourtant, les gouvernements provinciaux demandent toujours aux syndicats du secteur public de réduire les coûts et d’accepter des concessions. Dans presque tous les cas, ces gouvernements ne parviennent pas à résoudre leur véritable problème, soit la faiblesse de leurs revenus. Certains gouvernements aggravent même la situation en réduisant les impôts.
Voici un aperçu des attaques des gouvernements provinciaux contre les salaires du secteur public.
En mars 2017, le gouvernement de la Saskatchewan a demandé aux syndicats du secteur public d’accepter une réduction de salaire de 3,5 pour cent. À la fin de 2018, la convention collective de 34 des 39 unités de négociation du secteur public était échue. Comme aucune unité n’a accepté de réduire les salaires, le ministre des Finances a reculé.
En 2016, le gouvernement du Manitoba a présenté une loi pour geler les salaires du secteur public pendant deux ans, un gel suivi d’augmentations de 0,75 et 1,0 pour cent lors des troisième et quatrième années. Les syndicats contestent la loi devant les tribunaux, mais le gel salarial pourrait être appliqué en attendant la décision. Le gouvernement a aussi réduit le financement des conseils scolaires en raison des mauvaises conditions économiques. Il s’attend à ce que le manque à gagner soit récupéré au niveau des salaires.
En Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial a utilisé la Loi sur la viabilité des services publics pour limiter la capacité d’un arbitre d’accorder des salaires plus élevés que les seuils fixés par le gouvernement. En 2017, le gouvernement a précisé ces seuils : un gel des salaires pendant les deux premières années, puis des augmentations de 1,5 et 1 pour cent pour les troisième et quatrième années.
Au Nouveau-Brunswick, les derniers gouvernements ont limité les augmentations annuelles de salaire dans le secteur public à une moyenne d’un pour cent depuis dix ans, ce qui est inférieur à l’inflation. Le gouvernement de coalition récemment élu a promis de reprendre le contrôle sur les dépenses publiques, évoquant des compressions en éducation postsecondaire et en santé. Les risques de privatisation et de réductions de services sont aussi bien réels.
En Ontario, l’énoncé économique de l’automne 2018 a souligné à gros traits l’ampleur du déficit et de la dette. Au lieu de chercher des moyens pour accroître les revenus, le gouvernement a accordé des réductions d’impôts aux plus riches. De nouvelles privatisations, davantage de compressions, plus de précarité et le dépôt de clauses de disparité de traitement pour les travailleurs du secteur public sont attendus.
Les gouvernements préconisaient déjà la privatisation et la réduction des services publics avant la récession de 2008. Les employeurs du secteur public transformaient aussi de nombreux postes offrant la sécurité d’emploi en postes temporaires et précaires. Depuis 1997, la proportion des travailleurs du secteur public ayant un contrat temporaire a augmenté de plus de 50 pour cent. Le quart des membres du SCFP occupent un emploi précaire.
Dix années d’austérité n’ont fait qu’aggraver les choses.
Négocier vers l’avant
Comment pouvons-nous lutter contre l’austérité et les programmes anti-travailleurs des gouvernements provinciaux ? La réponse est simple: par la négociation collective.
La négociation est un des meilleurs outils à notre disposition pour améliorer les salaires, les conditions de travail et les avantages sociaux des membres du SCFP. En 2017, le Conseil exécutif national a mis à jour la politique de négociation du SCFP en fonction de trois axes principaux : la lutte contre l’austérité, la lutte contre la précarité et la lutte à la privatisation. Cette politique prévoit aussi des stratégies concrètes pour lutter contre les concessions et les clauses de disparité de traitement. Elle reconnaît que le succès des négociations passe par la mobilisation des travailleurs. Si les travailleurs n’ont pas la capacité de résister à l’austérité, les conditions économiques favorables ne suffiront pas pour améliorer leur sort.
La politique Aller de l’avant va au-delà de la stricte négociation collective. Elle souligne la nécessité de susciter des appuis politiques aux investissements publics dans les services offerts par nos membres. Si les communautés bénéficient de la présence de services publics forts, l’augmentation des salaires des travailleurs du secteur public a aussi un effet multiplicateur sur les économies locales.
En fait, lorsque les syndicats réalisent des gains à la table de négociations, ils rehaussent la barre pour tous les travailleurs. La preuve : les avantages sociaux et les salaires dont nous bénéficions tous ont d’abord été revendiqués à la table de négociations.