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Dans le budget 2013, on apprend que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) sera intégrée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), qu’un poste de ministre distinct y sera assigné et qu’ainsi, les rôles et les responsabilités du ministre en matière de développement et d’aide humanitaire seront mieux enchâssés dans la loi.

La communauté des ONG proposait depuis longtemps qu’on fasse de l’ACDI un ministère majeur, avec ses propres mesures législatives. Elle accueille donc bien l’engagement du gouvernement à inclure dans la loi les rôles et les responsabilités du ministre qui supervise le budget d’aide canadienne.

La fusion de l’ACDI au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n’a rien d’étonnant, puisque le Canada a toujours lié son aide au développement à divers objectifs de politique étrangère. Or, sous le gouvernement actuel, il y a de quoi s’inquiéter de cette décision, en raison de l’engagement discutable de ce gouvernement envers la réduction de la pauvreté dans le monde et le respect des droits de la personne, de son dossier en matière de politique étrangère et des bénéficiaires visés par notre aide au développement international.

Engagement envers la réduction de la pauvreté dans le monde

Dans son budget 2012, ce gouvernement avait annoncé qu’il réduirait le budget de l’ACDI de plus de huit pour cent sur trois ans, soit une compression de ses dépenses totalisant plus de 319 millions de dollars. Ainsi, d’ici 2015, l’aide au développement international (ADI) du Canada chutera au niveau le plus bas de son histoire récente, soit à peine 0,25 pour cent de notre produit intérieur brut (PIB). Le Canada se trouve maintenant près du bas de la liste des pays donateurs, et ce, malgré notre engagement de 2008 à consacrer 0,7 pour cent de notre PIB au développement international afin de respecter la cible fixée par l’OCDE.

En comparaison, le budget 2013 du Royaume-Uni (déposé la veille du budget canadien) comporte une hausse significative de l’aide au développement afin d’atteindre cette cible de 0,7 pour cent cette année, malgré le fait que ce pays connaît une situation économique et fiscale beaucoup plus difficile que la nôtre. Le R.-U. rejoint donc les rares pays à avoir atteint cette cible, soit la Suède, la Norvège, le Luxembourg et le Danemark.

Les organisations qui œuvrent depuis des décennies grâce, entre autres, au financement de l’ACDI, comme Kairos, Oxfam Canada et CoDevelopment Canada, ont vu leurs crédits diminuer et les appels de propositions de programmes retarder depuis quelques années. On dirige une plus grande part des crédits vers les institutions multilatérales (comme la Banque mondiale et le Programme alimentaire mondial de l’ONU), alors que le budget des organisations de la société civile, dans le secteur sans but lucratif, a connu une forte baisse. D’ailleurs, cela les freine dans leurs efforts (qui répondent au mandat de l’ACDI) de réduire la pauvreté dans l’hémisphère sud.

Le SCFP représente des syndiqués dans plusieurs ONG œuvrant dans le développement international au Canada; nous sommes membres du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) et nous collaborons de près avec ces organismes, à titre de partenaire de la solidarité internationale. De plus, le SCFP a œuvré directement auprès d’un excellent projet financé par l’ACDI par le biais du Programme syndical de développement international qui soutient le mouvement syndical à travers le monde. Nous savons, par expérience, à quel point ces organismes travaillent fort pour alléger la pauvreté, défendre les droits de la personne et soutenir l’égalité dans l’hémisphère sud; nous savons aussi à quel point ces retards et ces réductions du financement sapent leurs efforts au Canada et à l’étranger.

Dossier en matière de politique étrangère

La réputation du Canada à l’échelle internationale se détériore depuis quelques années. Notre attitude plus militariste, notre inaction dans le dossier de l’environnement, enfin notre tentative de nuire au débat onusien sur le droit à l’eau potable, nous valent l’opprobre du monde entier. La promotion de l’industrie extractive canadienne par le Canada a servi à conclure un accord de libre-échange avec la Colombie en 2011, malgré des montagnes de preuves attestant le non-respect des droits de la personne et du travail dans ce pays. Le Canada est sur le point de répéter l’expérience au Hoduras, alors que les incessantes violations des droits de la personne y sont très préoccupantes.

L’ACDI est encadrée par une loi qui définit clairement ce qui constitue de l’aide au développement officielle; cette aide doit contribuer à la réduction de la pauvreté, tenir compte des points de vue des pauvres et être compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne. Ce mandat pourrait contredire notre politique étrangère, qui fait passer en priorité les « intérêts du Canada », ainsi que « la prospérité à long terme et la sécurité du Canada ». Ce point, Oxfam l’a soulevé dans sa réponse au budget : « Les Affaires étrangères ne s’occupent pas de réduction de la pauvreté. Nous risquons de perdre l’expertise, le sérieux, l’efficacité et les résultats qu’apportait à cet objectif le personnel de l’ACDI. »

Bénéficiaires visés par notre aide au développement international

En novembre 2012, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international a déposé un rapport sur le rôle du secteur privé dans la réalisation du mandat canadien en matière de développement international. Il s’intitule : « Stimuler la croissance économique inclusive : rôle du secteur privé dans le développement international ». Après le dépôt de ce rapport, le ministre Fantino a prononcé une allocution au Economic Club of Canada, dans laquelle il a confirmé que l’ACDI avait l’intention de faire participer plus activement le secteur privé canadien au développement international, en soulignant que d’énormes occasions d’affaires s’offraient aux sociétés canadiennes dans les pays en développement, particulièrement dans les industries d’extraction des ressources naturelles.

L’organisme catholique canadien Développement et Paix a réagi à cette annonce comme suit :

 Nos partenaires un peu partout sur la planète nous ont tous fait part de leurs préoccupations au sujet des pratiques en matière de commerce international et d’investissement et de leur incidence sur les communautés pauvres. Ils ont démontré que l’investissement direct étranger, en soi, n’améliore pas nécessairement les conditions de vie de la majorité des gens, et en effet, dans bien des cas, les activités des entreprises internationales empirent les conditions de vie des pauvres et affaiblissent les institutions de gouvernance locale.

Les expériences de l’ACDI avec le secteur privé ont connu beaucoup de problèmes au fil des ans. Tout récemment, l’ACDI s’est attiré des critiques, au pays et à l’étranger, lorsqu’on a appris qu’elle finançait les activités de sociétés minières canadiennes et qu’elle fournissait du soutien technique dans des dossiers problématiques d’amendements aux codes miniers nationaux, comme au Honduras. Certains ont aussi suggéré que l’ACDI finance surtout les pays dans lesquels nous avons des intérêts commerciaux et économiques (Colombie, Honduras, Afghanistan), au détriment de nations plus pauvres.

De plus, plusieurs réfutent la croyance et l’objectif voulant que le secteur privé canadien fasse du développement économique et crée de l’emploi dans les pays bénéficiaires de l’aide canadienne au développement, dont Bernard Wood, ancien chef de la Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE, qui affirme « [qu’]il n’y a aucune preuve crédible démontrant que le soutien direct que porte les programmes d’aide étrangère officielle aux entreprises ou que les partenariats qu’ils forment avec elles font progresser cet objectif ».

Compte tenu du récent dossier international du Canada et de nos priorités souvent corporatistes, ce qui nous inquiète dans la fusion entre l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), c’est l’intention qui la sous-tend. Plusieurs pays peuvent nous servir de modèle à analyser : les États-Unis, l’Irlande et la Norvège confient l’aide au développement à leur ministère des Affaires étrangères; au Royaume-Uni, elle bénéficie de son propre ministère, et les résultats diffèrent. La chose primordiale, comme le souligne Stephen Brown, spécialiste de l’ACDI, c’est que « si le ministère des Affaires étrangères de certains pays fait bon usage des crédits consacrés à l’aide, c’est principalement parce que ces ministères – et leur gouvernement dans son ensemble – ont pris un engagement ferme en matière de développement et leur vision globale est axée sur la réduction de la pauvreté. Malheureusement, ce n’est pas le cas du Canada de Harper. »

Il est clair que cette fusion constitue un effort de promouvoir « la prospérité à long terme et la sécurité du Canada ». Les ONG craignent qu’elle lie encore plus étroitement l’aide à la poursuite d’occasions d’affaires par l’entreprise privée canadienne. Et il y a de bonnes raisons de craindre que, sous le manteau de l’aide humanitaire et du développement, les crédits consacrés à l’aide canadienne servent à la poursuite d’objectifs de politique étrangère qui ne vont pas dans l’intérêt des collectivités qu’ils devraient aider. Le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) déclarait récemment :

Le gouvernement insiste beaucoup présentement sur la promotion des sociétés canadiennes à l’étranger, notamment par la promotion d’accords visant le commerce et les investissements. Cela est logique dans un contexte de commerce et d’investissements. Nous craignons cependant que, dans ce contexte, le gouvernement s’attende à ce que l’ACDI s’éloigne de son mandat principal de réduction dela pauvreté, et accorde une priorité injustifiée aux entreprises canadiennes.

L’aide au développement n’a jamais été la solution au problème de la pauvreté dans le monde; au mieux, elle atténue les pires effets du système économique mondial et aide les collectivités à soulager un peu la pauvreté dans laquelle elles vivent. Établir des relations de commerce équitable, soutenir les initiatives d’autodétermination, permettre à la majorité de la population de profiter des ressources et des capacités agricoles et industrielles de son propre pays par le biais de notre politique étrangère, voilà d’importants éléments d’un réel développement incluant la création d’emploi et la diminution de la pauvreté.

Ceci étant dit, l’aide au développement et l’aide humanitaire ne sont qu’un mécanisme de redistribution de la richesse, et il faut s’assurer que ces transferts sont à l’abri, au Canada, d’acteurs intéressés. En outre, notre aide au développement doit respecter les lignes directrices internationales et nationales, qui accordent la priorité à la réduction de la pauvreté, au point de vue des pauvres et aux normes internationales en matière de droits de la personne. Pour ce faire, l’ACDI devrait conserver son indépendance, avec un cadre législatif et une politique élaborée en consultation avec la société civile.

Le Canada doit annuler les compressions de 319 millions de dollars imposées à l’ACDI dans le budget fédéral 2012 et adopter des mesures afin d’honorer notre engagement de 2008 à élever notre contribution au développement international à 0,7 pour cent de notre PIB, soit la cible fixée par l’OCDE.

Texte avec les références: