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La nouvelle subvention canadienne pour l’emploi est l’une des principales mesures mises de l’avant dans le budget fédéral 2013.

À compter de mars 2014, elle donnera jusqu’à 15 000 $ par personne pour de la formation de courte durée, dont un maximum de 5 000 $ provenant du gouvernement fédéral, somme que devront apparier les provinces et territoires et les employeurs. Le budget estime que 130 000 personnes se prévaudront de cette mesure lorsque celle-ci sera parfaitement implantée.

Ce sont les entreprises qui demanderont cette subvention afin de former des travailleurs sans emploi ou sous-employés, pour que ceux-ci puissent obtenir un emploi existant ou améliorer leurs compétences afin d’obtenir un meilleur emploi « à forte demande ». La formation pourra être dispensée par un collège communautaire, un centre de formation syndical ou un collège professionnel privé. Bien que le budget n’en fasse pas état, il est probable que cette mesure serve aussi à subventionner la formation fournie par l’employeur directement.

Les détails et les modalités de ce programme seront fixés dans le cadre de la négociation d’Ententes sur le marché du travail avec chaque province ou territoire, en consultant les associations d’employeurs, les établissements d’enseignement et les syndicats. Il se peut que les employeurs et les employés du secteur public n’aient pas accès au programme. Les membres du SCFP devraient faire pression sur leur gouvernement provincial afin que celui-ci fasse inclure leurs milieux de travail dans les critères d’admissibilité à la subvention.

Ce que l’on sait, en ce moment, c’est que cet argent sera consacré aux formations que les employeurs jugeront prioritaires (ce sont eux qui présentent les demandes de subvention), sans égard aux priorités des travailleurs, des provinces, de la collectivité ou des établissements qui enseignent les formations que finance actuellement cet argent. Il se pourrait que les crédits fédéraux et provinciaux accordés par le truchement de cette subvention ne servent qu’à financer les formations déjà fournies ou prévues par les entreprises, au lieu d’encourager d’autres formations. Il se pourrait aussi qu’ils deviennent, pour les entreprises, une subvention salariale indirecte.

Enfin, ce programme transforme considérablement le rôle de ces crédits fédéraux à la formation : ceux-ci s’éloignent du perfectionnement général des compétences en milieu de travail, de l’alphabétisation et des compétences essentielles qui aident les travailleurs présentant un niveau plus bas de spécialisation et de participation au marché du travail, pour se rapprocher de la formation de courte durée rattachée à un emploi précis et du financement de spécialisations bien précises.

…entraîne une réduction des crédits fédéraux consacrés à l’alphabétisation et aux compétences essentielles…

Pour financer la nouvelle subvention canadienne pour l’emploi, on retire 300 millions de dollars aux sommes transférées actuellement aux provinces et territoires en vertu d’Ententes sur le marché du travail (EMT) et consacrées à l’alphabétisation des milieux de travail et à l’acquisition de compétences essentielles. Depuis 2008-2009, le fédéral fournit annuellement 500 millions de dollars, par le biais des EMT, qui elles-mêmes ont remplacé les Ententes de partenariat sur le marché du travail avec les provinces et les territoires qui fournissaient également des crédits pour l’alphabétisation, les compétences essentielles et le perfectionnement en milieu de travail. Dans leurs deux premières années, ces programmes ont rejoint 550 000 Canadiens.

Les EMT finançaient des programmes visant à parfaire les compétences des travailleurs peu spécialisés et à accroître la participation des groupes sous-représentés sur le marché du travail, soit les immigrants et les autochtones. Ces programmes ciblaient les sans-emploi inadmissibles à l’assurance-emploi et les travailleurs peu spécialisés. Dans le budget 2013, le fédéral dit vouloir aussi consacrer les 200 millions de dollars restant dans les nouvelles EMT à la formation liée à des emplois « à forte demande », ce qui représente une sérieuse réorientation de ce qui se fait actuellement.

Selon les EMT actuelles, les fonds transférés aux provinces et territoires ont servi soit à accroître les crédits des programmes existants, soit à permettre la création de nouveaux programmes, comme Compétences essentielles au travail au Nouveau-Brunswick, Deuxième carrière en Ontario, le Labour Education Centre et les Workplace Essential Skills Training Centres au Manitoba. Les membres et les sections locales du SCFP ont prêté main-forte à des programmes de ce genre dans plusieurs provinces, en plus de les utiliser.

Selon le budget, le gouvernement fédéral continuera à verser aux provinces les 200 millions de dollars restant (au prorata de leur population), selon les modalités d’EMT renégociées, afin de soutenir la fourniture de « services de soutient à l’emploi, comme l’encadrement, l’aide à la recherche d’emploi et la gestion des services de recherche d’emploi ». Or, dans les faits, ces services verront leur financement fédéral coupé de 60 pour cent. Les provinces qui participeront à la subvention canadienne pour l’emploi devront aussi apparier le financement du fédéral. Ainsi, pour maintenir le financement des services actuels au niveau actuel, les provinces devront augmenter leurs dépenses de 600 millions de dollars.

On ne sait trop si les gouvernements provinciaux continueront de financer les programmes actuels où, s’ils ne le font pas, comment ces programmes survivront. La ministre fédérale des Ressources humaines et du Développement des compétences met énormément l’accent sur un concept qu’elle appelle la « finance sociale » et qui est mis de l’avant dans le budget 2013. Il s’agit de faire participer le financement privé et l’entreprise privée aux programmes dispensés par les organismes communautaires et sans but lucratif, mais qui sont, dans les faits, financés par le gouvernement : une sorte de PPP pour les programmes sociaux.

Le budget 2013 laisse entendre que le gouvernement fédéral compte aussi renégocier ses Ententes sur le développement du marché du travail (EDMT) avec les provinces, et leur enveloppe de 1,95 milliard de dollars issue de l’assurance-emploi, en vue de les recentrer sur des programmes de formation pour des emplois « à forte demande ».

…et subventionne l’entreprise privée, sans risquer de s’attaquer à des priorités plus générales

La subvention canadienne pour l’emploi laisse les entreprises fixer les priorités en matière d’emploi, alors que ce rôle revenait précédemment aux travailleurs et aux organismes collectifs. Les entreprises canadiennes détiennent l’un des pires dossiers en matière de formation, parmi les principaux pays industrialisés. Elles ont tendance à favoriser la formation des travailleurs spécialisés, principalement des hommes.

Ce nouveau programme retirera des crédits fédéraux aux groupes plus vulnérables qui ont le plus de difficulté à entrer sur le marché du travail et à y progresser, pour subventionner les formations à court terme que le patronat juge prioritaires, soit celles susceptibles d’offrir le meilleur rendement instantané.

Le Québec a déjà demandé à être exclu du nouveau programme fédéral. Des représentants de la Commission des partenaires du marché du travailde cette province ont décrié le fait que le fédéral fasse ainsi main basse sur le programme. D’autres provinces s’inquiètent des coûts supplémentaires qu’entraînera cette subvention. Au lieu de subventionner les coûts de formation des entreprises, le Québec exige des employeurs qu’ils consacrent à la formation un pour cent de leur masse salariale. 

Le SCFP s’oppose aux coupes fédérales à l’alphabétisation et aux compétences essentielles : les nouveaux programmes fédéraux devraient être assortis de nouveaux crédits, au lieu de s’approvisionner dans l’enveloppe budgétaire des programmes s’adressant aux travailleurs les plus vulnérables. De nombreux employeurs ont participé aux programmes actuels d’alphabétisation et de compétences essentielles. Ils en ont profité. Ils ont compris qu’il est important que tous les travailleurs maîtrisent les compétences de base en communication, et qu’une bonne formation ne s’expédie pas; cela prend du temps.

Le SCFP et le CTC ont réclamé du fédéral qu’il élabore, avec les provinces, les employeurs et les syndicats, une stratégie nationale en développement des compétences, pour répondre aux lacunes croissantes en matière de formation, au vieillissement de la main-d’œuvre et au manque croissant d’occasions d’apprentissage pour les travailleurs marginalisés.

Oui, le Canada connaît une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans certains domaines, mais ce n’est rien à côté de la pénurie d’emplois. On compte presque six fois plus de chômeurs canadiens à la recherche d’un emploi qu’il y a de postes à pourvoir au pays. Même si les Conservateurs justifient leur nouvelle approche en clamant qu’il y a « trop de bacheliers et pas assez de soudeurs », le ratio chômeur/poste à pourvoir atteint des sommets dans la construction et le secteur manufacturier, des industries dont les compétences sont semblables à celles que semble cibler ce programme.

Un rapport récent de l’Association des comptables généraux accrédités du Canada intitulé Pénuries de main-d’œuvre dans les métiers spécialisés : Les meilleures estimations? démontre qu’il y a peu de pénuries généralisées de travailleurs qualifiés dans les corps de métier. On ne constate pas de différence significative entre le taux de chômage dans les métiers spécialisés et celui dans la population générale, même en Alberta et en Saskatchewan. Les seules pénuries que l’ACGAC a pu identifier sont sporadiques, éparpillées géographiquement, et aucune n’a persisté plus d’un an. Or, les programmes d’apprentissage qui peuvent régler ce type de pénurie se complètent en plusieurs années. Le rapport des CGA réclame de meilleures données sur le marché du travail et affirme que des marchés du travail plus étroits peuvent offrir aux employés des occasions de perfectionnement et de croissance professionnels et mieux faire coïncider leurs augmentations de salaire avec la croissance de la productivité.

Lorsqu’on rencontre un déséquilibre des compétences, celui-ci est souvent très régionalisé et amplifié par des politiques économiques qui favorisent le développement de secteurs volatils qui croissent rapidement et éclatent, comme les ressources naturelles et la construction, au lieu de tabler sur une croissance économique diversifiée, plus durable et mieux planifiée. Peu de gens sont prêts à quitter leur milieu familial et social pour un poste à Fort McMurray, encore moins si les maisons unifamiliales s’y vendent 750 000 $.

Sur le marché du travail comme sur les autres types de marché, la meilleure manière de répondre à une pénurie à court terme de main-d’œuvre qualifiée consiste à augmenter les salaires, les avantages sociaux et la rémunération. Malheureusement, les récentes politiques conservatrices en matière de marché du travail (y compris l’ingérence dans la négociation collective libre, le sapement des syndicats, l’exploitation accrue des travailleurs temporaires étrangers et l’affaiblissement de l’assurance-emploi) visent la suppression et la répression plutôt que l’augmentation des salaires. Ces mesures, tout comme la subvention canadienne pour l’emploi qui subventionnera la formation de courte durée, sont des mesures à court terme qui n’aideront pas à régler les problèmes de fond.

Pour régler nos pénuries de main-d’œuvre et de main-d’œuvre qualifiée à plus long terme, il faut des stratégies et des investissements à plus long terme.

Le Canada a besoin de meilleures données sur le marché du travail pour réagir aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée. Or, la qualité des données régresse, à la suite des compressions à Statistique Canada, de la diminution du financement accordé aux conseils sectoriels et de l’élimination d’organismes de collaboration nationale comme le Centre syndical et patronal du Canada et le Conseil canadien sur l’apprentissage.

Les travailleurs vulnérables, les sans-emploi de longue date et les groupes les moins représentés sur le marché du travail ont besoin de s’alphabétiser et d’acquérir des compétences essentielles; c’est ce que permettent les programmes provinciaux d’alphabétisation et d’acquisition des compétences essentielles.

On peut aussi régler les pénuries de main-d’œuvre en mettant sur pied un réseau national de garderies publiques, abordables et de qualité. Ce réseau permettrait aux parents de retourner au travail ou d’entreprendre des études ou de la formation; il ferait baisser les taux de décrochage scolaire; il offrirait à la prochaine génération le meilleur départ possible dans la vie. Bref, cela augmenterait la participation au marché du travail, immédiatement et à long terme. Comme le démontre l’exemple québécois, un tel réseau de garderies s’autofinance largement.

En outre, les études collégiales et universitaires tiennent un rôle clé dans le développement des compétences et l’accroissement de la participation au marché du travail : on devrait augmenter les transferts fédéraux au secteur postsecondaire afin de rendre ces études plus accessibles.

Les crédits publics consacrés à la formation professionnelle devraient servir à répondre aux besoins des travailleurs, surtout les plus vulnérables, à renforcer leurs capacités et leur revenu. Ces crédits devraient être combinés à d’autres programmes qui rehaussent le niveau de spécialisation et d’éducation des travailleurs et qui font baisser le taux de chômage. Ils ne devraient surtout pas servir à subventionner l’entreprise privée.